Une relecture de la relation maître-disciple

Par Aliréza Nurbakhsh

Extrait du magazine SUFI 79

La relation entre un maître et un disciple a toujours été caractérisée  dans le soufisme comme étant celle d’une confiance inconditionnelle dans laquelle le disciple suit son maître sans poser de questions ou soulever des objections dans son voyage vers la vérité. C’est une relation  de cœur  dans laquelle l’amour que le disciple  a pour le maître est la force qui  lui permet de suivre le maître vers la vérité.

L’histoire de Moïse et de Khizr telle  que racontée par Rumi dans son Mathnawî,  est  l’un des exemples les plus souvent cité pour illustrer la relation de maître à disciple. Guidé par Dieu, Moïse  part à la recherche de la connaissance divine auprès de Khizr. Khizr  met en garde Moïse dès le début : «  tu ne seras pas capable de m’accompagner, car tu ne comprendras pas ce que je fais et tu n’as pas la capacité de l’accepter ». Malgré la mise en garde, Moïse insiste pour accompagner Khizr. Ayant averti Moïse, Khizr accomplit une série d’actes  que Moïse juge tous contestables. A la troisième objection de Moïse, Khizr  déclare qu’il ne guidera plus Moïse. Cependant  avant leur   séparation, Khizr estime nécessaire d’expliquer les actions au sujet  desquelles Moïse a émis des objections.

Moïse n’a pu suivre Khizr dans la quête du savoir Divin. Peut être comptait-il sur lui-même et son propre mode de compréhension d’abord et avant tout  plutôt que de compter sur Khizr. Peut-être  que la justification  d’une action était plus importante aux yeux de Moïse plus que  le fait de suivre Khizr dans l’accomplissement de l’action .Quelque soit la raison,  Moïse n’a pu suivre Khizr parce qu’il n’avait pas la confiance inébranlable  en Khizr  que nécessite la voie. La confiance inébranlable en Khizr  aurait fait que malgré l’ignorance par Moïse des conséquences réelles des actions de Khizr, il l’aurait suivi sans  poser de questions ou soulever d’objections que ce soit intérieurement ou extérieurement.

Avoir confiance  en quelqu’un n’est pas quelque chose  qui arrive immédiatement. Il nous faut souvent plusieurs années de connaissance et d’interaction avec une personne avant  de lui faire confiance. Nous avons besoin de poser des questions et d’examiner le comportement de la personne avant d’atteindre le point de confiance. En ce qui concerne la relation de maître à disciple, il est assez rare que le disciple atteigne l’étape de la confiance inébranlable au maître juste après son initiation dans la voie spirituelle. Il faut des années de persévérance au disciple et un grand degré de patience du maître pour permettre à la relation de confiance de se développer.

Durant cette période  d’acquisition  de la confiance totale au maître, le disciple s’attend à ce que le maître  se comporte conformément  aux règles et conventions  qui sont familières à la personne du disciple. Tout comme dans la relation de Khizr et de Moïse où ce dernier s’attendait à ce que Khizr suive  les règles et les lois conventionnelles. Cependant, une fois que le disciple acquière la confiance inébranlable, la relation de maître à disciple est transformée à un autre niveau, qui est au-delà  du monde de la règlementation, des conventions  et du royaume des justifications et des raisons qui sont  conçus pour nous protéger des autres.

Agir avec désintéressement n’est pas cependant une chose  vers laquelle nous sommes portés par notre propre nature. Notre  tendance naturelle est de nous protéger et notre impulsion est d’agir pour  notre intérêt personnel.

Notre égo nous demande de nous protéger d’abord avant de protéger les autres, mais sur la voie soufie  nous devons placer les autres personnes avant nous-mêmes. Un maître est quelqu’un qui enseigne le désintéressement par l’exemple et qui parfois demande au disciple de faire des actes désintéressés. Mais sans la confiance du disciple au maître, cela n’est pas possible.

Plus le disciple a confiance au maître, plus il est facile pour le disciple de suivre le maître dans la voie de l’amour et de l’amour-bonté. Cependant, l’amour et l’amour-bonté ne peuvent être enseignés par des mots. Une mère ne demande pas à ses enfants de se comporter avec  amour envers les autres  en comptant seulement sur ses mots. Elle agit  avec amour envers les autres et les enfants suivent son exemple. De la même façon, un maître ne peut persuader le disciple d’agir avec amour-bonté envers les autres en prononçant simplement un discours sur le sujet. Le maître agit avec amour-bonté et le disciple suit son exemple. Une fois de plus, sans confiance au maître, le disciple ne peut  accomplir ce bond.

La relation de maître à disciple, comme toute autre relation basée sur la confiance, peut prendre  une mauvaise tournure et être préjudiciable à la fois au maître et au disciple. Le danger pour le disciple est le suivant : plutôt que de faire confiance au maître pour le guider vers la vérité, le disciple transforme le maître en idole, une idole ayant la qualité d’agir selon les attentes et  les souhaits du disciple. Inévitablement, lorsque le maître ne se comporte pas d’une telle façon, le disciple est désillusionné et perd toute capacité de poursuivre son voyage spirituel. Le danger pour le maître est d’abuser de la confiance du disciple, de sorte que,  au lieu de guider le disciple vers la vérité, le maître le conduit vers les terres stériles de l’égo personnel du maître.

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