Une voie mystique par excellence pour l’Humanité
Par Benoît Gauthier
Introduction – Au carrefour des civilisations et étymologie
En Asie Centrale, de la région que les Iraniens appellent la Khurasane Majeure, est né le Soufisme, courant mystique profond et éternel. En ce qui concerne l’origine même du terme Soufisme, l’étymologie le plus souvent admise, viendrait de l’arabe souf = laine, vêtement de laine rugueux.
Au plan historique, le mot Soufi a été prononcé pour la première fois au 7ème siècle par les ascètes. Il devient un mot courant dans le monde islamique au 9ème siècle et s’est ensuite largement répandu sur la Terre.
Le Soufisme tire sa force des traditions anciennes qui se sont amplifiées à l’occasion surtout de la fondation de l’Islam et se sont poursuivies jusqu’à nos jours.
En bref, le but et la Voie du Soufisme est l’anéantissement en Dieu grâce à la connaissance mystique cultivée par le Maître des maîtres, un Guide spirituel pleinement accompli. Celui-ci entraîne le disciple à ouvrir son cœur aux effusions divines pour voir les choses avec l’œil du cœur. Le Soufi sait qu’il n’y a qu’un seul Être absolu et que l’être humain, ainsi que le monde dans lequel il vit, ne sont que des réflexions de cet Absolu.
I – Les courants mystiques « préSoufis »
Le mysticisme n’est pas l’apanage d’un peuple ou d’une seule culture. Il appartient incontestablement au patrimoine de toute l’Humanité.
De l’Égypte à la Perse, de l’Inde à la Chine, nombreux sont les foyers anciens où le mysticisme s’est manifesté. Le Soufisme a su y dégager en propre de multiples facettes et colorations sur cette Voie d’amour fréquentée par les voyageurs mystiques des diverses pratiques religieuses. Les auteurs distinguent plusieurs courants mystiques anciens, plus ou moins reliés, à savoir :
a) Mysticisme issu de la très longue civilisation égyptienne
Depuis 2900 av. J.-C. avec son apogée vers 1570-1080 av. J.-C., il aboutit à la religion judaïque et au christianisme.
Hermétisme (Hermès Trismégiste) : groupe de savants gréco-égyptiens entre 300 av. et 300 ap. J.-C. qui ont colligé les connaissances ésotériques (gnose) de l’époque.
b) La tradition mésopotamienne
Également très ancienne, elle marque les contrées juste à l’est de la Méditerranée. Cette tradition passe successivement des Sumériens aux Babyloniens et permet, subséquemment, la venue de la mystique khusrawenne-iranienne.
c) Les courants mystiques irano-persans
Selon le Grand Maître Soufi, Javad Nurbakhsh, les Iraniens sont descendus de l’Asie centrale vers le Moyen-Orient autour de 2000 av. J.-C., en apportant une voie mystique, la Voie « khusrawenne » : il s’agit en quelque sorte d’un monde dont le principe est l’unité de l’être, c’est-à-dire que tout être vient d’une seule Unité divine. La manière de progresser pour les disciples va consister à s’affranchir de la matérialité grâce à l’attraction de l’Amour Absolu et au service désintéressé envers le monde. Tel serait le foyer le plus ancien du Soufisme. C’est pour ainsi dire la Voie de l’amour par excellence, soit bien avant la naissance de l’Islam (7ème siècle).
L’ésotérisme iranien sera réputé notamment pour ses Mages, véritables Maîtres spirituels organisés en caste sacerdotale dès 800 av. J.-C. On raconte que trois d’entre eux visitèrent Jésus à sa naissance.
Mazdéisme : vers 594 av. J.-C., époque d’expression exotérique de l’ésotérisme iranien; celui-ci amplifie le monothéisme avec comme Dieu, Ahura Mazdâ, dit le Bien-Aimé par Zoraostre ; il s’agit sans doute de la première personne dans l’histoire à avoir appelé Dieu « Ami » et l’une des premières à avoir fait l’expérience de l’ascension.
d) Mysticisme épris de sensibilité indienne
Vers 1500 av. J.-C. se constitue dans la vallée de l’Hindus une tradition védique de laquelle jaillit le bouddhisme dans les années 500 av. J.-C. Par ailleurs, le dénuement de l’hindouisme et sa pratique du yoga (codifiée par Patanjali au 3ème siècle av. J.-C.) ne sont pas sans évoquer les pratiques ultérieures du Soufisme.
e) Mysticisme chinois
Celui-ci existe depuis des millénaires en Extrême-Orient. Vers les années 500 av. J.-C., Lao-tseu préconise le Taoïsme (Daoïsme) ou école de la Voie en faisant le vide. L’apogée de l’ésotérisme chinois survient au 2ème siècle ap. J.-C. Le diagramme composé de cercles en partie blancs et en partie noirs, transmis de façon immémoriale, paraît pour la première fois vers 950 ap. J.-C. Le Taoïsme en vient à se répandre dans toute l’Asie et, plus récemment, dans le monde occidental.
f) Les courants mystiques du monde hellénistique
Orphée (7ème siècle av. J.-C.) : il défendait l’immortalité de l’Âme;
Pythagore (532 av. J.-C.) : celui-ci reçut diverses initiations dont celle en la cité de Babylone le reliant à Zoroastre; il lança en Grèce cette chaîne initiatique khusrawenne de transmission du zekr ou mantra qui passa éventuellement à Socrate et à Platon, puis à Plotin et aux néoplatoniciens; ajoutons encore que dans son enseignement, la femme était l’égale de l’homme;
Plotin (203-270 ap. J.-C.) : un envol de l’esprit seul vers Lui seul.
Le monde oriental, caractérisé par une incroyable richesse intellectuelle et spirituelle, connaît dans les premiers siècles de l’ère chrétienne une crise sociale et même religieuse qui s’exprime notamment par une aspiration mystique globale. L’Islam s’introduit au 7ème siècle dans cette brèche et parvient à s’imposer dans le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Un mouvement d’une appellation inédite, le Soufisme, profite aussi d’une telle conjoncture.
II – Le Soufisme et l’Islam
Diverses thèses tendent à montrer que l’héritage mystique, antérieur au 7ème siècle, a su préparer le Soufisme à une lecture originale – c’est-à-dire ésotérique – du Coran. Il existe aussi une forte probabilité que le courant khusrawen y soit entré directement par l’entremise de Salman le Persan, compagnon iranien du Prophète Mahomet.
D’autres chercheurs estiment que les premiers Soufis tirèrent leur doctrine directement du Coran. Ceux-ci avancent que le Soufisme a pu se développer en révolte contre l’ordre établi, alimentant un discours qui préconisait l’émancipation sociale et politique. Subséquemment, les minorités ethno-culturelles non-arabes furent délibérément écartées du jeu social et du pouvoir; on alla même jusqu’à les tenir pour des “esclaves”.
Comme contre-courant au formalisme rigide des juristes et des traditionalistes religieux, un mouvement populaire, le Soufisme, prend de l’ampleur. Il attire de nombreux adeptes par son message de tolérance et d’amour. La période de rupture entre l’islamisme et le Soufisme durera jusqu’au 11ème siècle alors qu’une reconnaissance officielle du Soufisme aura enfin lieu. De nos jours, les Soufis, dont ceux de l’ordre Nimatullahi, ne s’identifient à aucune communauté politique ou sociale, ni aux diverses expressions exotériques des Musulmans.
Par ailleurs, les Soufis retrouvent quelques-uns de leurs fondements dans le Coran et dans l’action même du prophète Mahomet.
Le Coran
Les principaux thèmes coraniques repris par les Soufis se limitent au nombre de trois :
1) Le Coran postule l’unicité de Dieu (Allah).
2) L’Islam consiste en une recherche perpétuelle de Dieu, en tout temps et en tout lieu. “De quelque côté que tu te tournes, là est la face de Dieu”. Dieu est déclaré être plus proche de chaque personne que sa veine jugulaire; mais, dans le même verset, il est indiqué que la nafs, l’identification égoïque, chuchote tellement à chacun qu’elle empêche la pleine conscience de Dieu; le Soufisme invoque alors le zekr, mantra de rappel, qui s’avère être un nom de Dieu implanté dans le cœur du Soufi.
3) Il faut se préparer à mourir à chaque instant. “Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons”; en effet, le Soufi doit “mourir avant de mourir”, comme dit le Prophète.
Le Prophète Mahomet
L’un des épisodes de la vie du prophète Mahomet les plus chers aux Musulmans tient en sa vision d’une ascension mystique vers Dieu, dénommée voyage nocturne.
“Une nuit, une jument ailée vient chercher Mahomet et l’emmène au paradis, comme dans un songe. Il rencontre, lors de ce voyage ascensionnel, les autres prophètes, avant de se trouver devant la porte d’une maison au paradis. L’Archange Gabriel se tient devant cette porte. Il informe Mahomet que prier Dieu est nécessaire pour qu’elle s’ouvre. Dieu entend alors sa prière et dit : Je n’ouvre la porte qu’à ceux qui Me sont chers. Toi et tes disciples M’êtes très chers. Puis Il ouvre la porte. Derrière celle-ci se trouve un coffret qui renferme la pauvreté spirituelle et un manteau.”
“Le Prophète raconte ainsi la suite : Quand je suis redescendu, j’ai pris avec moi le manteau et je l’ai placé sur les épaules d’Ali. Ce dernier est, pour les Soufis, un symbole de simplicité, d’honnêteté, de courage et de générosité. Cela sous-entend aussi que le Prophète a gardé la pauvreté spirituelle pour la prêcher. L’épisode évoque une telle intensité spirituelle qu’elle est devenue exemplaire pour les Soufis.”
Encore de nos jours, quand l’initié Soufi de l’ordre Nimatullahi fait le serment d’accepter l’Islam, il ne s’agit pas de la religion formelle. Il sera plutôt question de l’état d’être prêt à se soumettre, à suivre la direction du Grand Maître sans demander pourquoi. C’est la soumission pure et simple.
III – À propos du Soufisme
Nous aborderons quelques thèmes qui ont préparé et marqué l’apogée du Soufisme entre le 10ème et le 13ème siècle. Quelques questions d’époque et de portée générale seront aussi touchées.
Qui sont les grandes figures du Soufisme ?
Les premiers y ont laissé leur vie :
- Hassan Basri (643-728) : Arabie saoudite et Irak; penseur et sage; docilité devant le Créateur, possibilité de Le rencontrer; importance du rite sacré.
- Ibrahim Adham (716-777) : Iran; jeune prince de la région de Balkh, ville actuellement en Afghanistan, qui, comme le Bouddha, a renoncé à tout pour une vie de pauvreté; il était connu pour son habitude de travailler humblement dans les vergers afin de nourrir les disciples de ses gages; exemple du principe Soufi de chevalerie; nombreux miracles.
- Dhu n-Nun (mort en 861) : Égypte; il connaissait les hiéroglyphes; initié et guidé par une femme-Maître iranienne, Fatima de Nichapour; il a donné ses premières instructions à la Mecque et ses dernières, à Jérusalem.
Les sobres ont encouragé la liberté intérieure individuelle :
- Mohassibi (781-837) : Irak; il a enseigné que chaque derviche ou Soufi devait faire son propre examen de soi.
- Junaïd (826-910) : Irak; il était le doyen des Soufis de son époque; comme juge, il a dû condamner Hallaj, son disciple, pour sauver le Soufisme des accusations d’hérésie.
Les ivres d’amour :
- Bàyazid Bastâmi (mort en 874) : Iran; recommande l’humilité.
- Hoceine ibn Mansùr Hallàj (né en 858) : Iran; Dieu se manifeste quand Il Lui plaît, mais il est tout de même essentiel d’associer la volonté humaine à la grâce divine; il révéla la réalité de l’anéantissement spirituel par sa déclaration : Je suis le Vrai.
- Rouzbéhâne Baqli Chirâzi (1128-1209) : Iran; il était prêcheur à la vieille mosquée de la ville de Chiraz; Maître par excellence, digne représentant de l’amour divin; en entendant une femme châtier sa fille parce qu’elle ne se couvrait pas la figure, il fit à la mère le reproche suivant : Ne cache pas la beauté divine qui peut inspirer autrui.
Que cherche le Soufi ?
Le Soufi est dans une quête spirituelle constante. Il cherche à perdre sa personnalité, à ne devenir rien pour que son être soit rempli du Bien-Aimé et de la divinité de son Âme. L’adepte aspire, une fois levé le voile qui le sépare de la Vérité, à mériter pleinement le nom de “Soufi”.
Comment l’ascension au bonheur absolu est rendue possible ?
La voie du Cœur
Par opposition à la raison spéculative, la connaissance du cœur est une connaissance certaine et absolue. Le cœur ne doit pas seulement être perçu comme un miroir qui reflète les attributs divins, mais également comme une source de lumière dont la clarté émane de ses propres profondeurs et dont la pureté est le garant du divin. Ainsi, c’est par des principes et des exercices spirituels rigoureux, fondés sur une foi profonde, que le Soufi parvient à purifier son cœur. Il peut alors lever le voile de l’illusion, en préférant Dieu et sa divinité aux plaisirs matériels.
Tout Soufi est guidé
Hafiz recommande : “Ne franchis pas cette étape sans l’aide du khidr (Maître spirituel), sinon tu te perdras dans les ténèbres.” Le Maître authentique est une manifestation pure de l’Être absolu. Seule une initiation permet de s’y relier et de pénétrer derrière l’apparence des choses; elle rend possible la réalisation de l’expérience intérieure et est ainsi en mesure d’entendre les volontés de l’Âme.
Étapes spirituelles ?
En général, les itinéraires comportent 4 étapes. Certains auteurs en proposent 7 et même jusqu’à 10. Ces 4 étapes sont les suivantes :
1) Voyage vers Dieu (réduction des désirs de l’égo),
2) Voyage avec Dieu (illumination du cœur et de l’Âme),
3) Voyage en Dieu (transmutation spirituelle : ajouts de qualités divines),
4) Voyage à travers Dieu (union : le Soufi ne fait plus qu’UN avec Dieu).
Le but vers lequel tend le pèlerin mystique, soit l’acquisition des qualités divines, ne s’atteint que par l’Attrait Divin (la Foi) et la tension de la volonté individuelle, du moins au début de la Voie. Seule la guidance complète de notre Âme peut mener à la Perfection et à l’Illumination. En somme, le Soufisme ne serait pas une philosophie à proprement parler ; il est plutôt une manière de vivre destinée à parvenir à l’illumination. Il s’efforce d’élever l’Âme jusqu’à Dieu alors que la philosophie ne pourra, au meilleur des cas, que lui en présenter l’idée.
En quoi consiste la formation du Soufi ?
Le Maître doit informer l’élève ou disciple des obligations spécifiques du Soufi. On peut les résumer en quatre devoirs majeurs :
1) Se vouer à l’amour de Dieu,
2) Observer la gentillesse envers toutes les créatures de Dieu,
3) Maintenir les secrets inhérents à la voie mystique proposée par le Soufisme,
4) Obéir soigneusement aux commandements du Grand Maître et avoir confiance en sa direction. Un Maître peut parfois se permettre d’explorer d’autres avenues et d’enrichir ses connaissances en exerçant son libre arbitre.
La formation d’un disciple, pour arriver à l’anéantissement (fanâ) et à l’union avec notre Âme et le Bien-Aimé, demande un laps de temps variant entre une seconde, sept à douze ans, et même toute une longue vie (Tariqat). Cela va dépendre des aptitudes de l’aspirant ainsi que des mesures spirituelles nécessaires pour le mener au But ultime.
Quel est le contenu pratique de la formation Soufi ?
C’est dans les maisons d’assemblée (les khânaqâhs) que guides spirituels ou sheikhs et le Maître (pir, morshède ou morâde) dispensent une direction appropriée à leurs disciples. Quand le disciple est prêt pour aller plus loin… il est instruit de cinq principes Soufis comme l’enseigne notamment l’ordre Nimatullahi :
1) L’invocation (verd)
Elle consiste en la répétition, un certain nombre de fois et avec la permission du Maître, d’une phrase ou d’une formule spirituelle. La formule prépare le Soufi à bien entendre la guidance de son Âme. L’état de réceptivité, en faisant le vide en soi, illumine le cœur de l’initié. Elle prépare ce dernier à recevoir le zekr.
2) Le souvenir (zekr ou dhikr)
Il s’agit de la commémoration ou du souvenir permanent des noms divins. Au début, il importe d’être attentif aussi bien au Nom lui-même qu’à son sens. On distingue deux sortes de zekr :
- Vocalisé : il est chanté en groupe lors du samâ.
- Silencieux : individuel, intérieur; il résonne dans le cœur; reçu à l’initiation, il sert de moteur transcendant pour la méditation et il sous-tend la conscience pendant les activités quotidiennes de la vie; il accompagne le souffle à tout moment et en tout lieu.
3) La contemplation (fekr)
On reconnaît trois degrés d’élévation mystique :
a) Pour le fidèle en quête de spiritualité, qui n’a pas encore trouvé son Maître ni la Voie, la contemplation commence lorsque l’Âme implante dans son cœur l’idée de trouver un guide.
b) Pour l’initié, la contemplation est une révélation qui pénètre profondément son cœur; il est en mesure de percevoir le visage spirituel du Grand Maître.
c) Pour le Soufi confirmé, la contemplation est un voyage du cœur qui lève progressivement les voiles du mental.
4) La méditation (morâqabeh)
De préférence nocturne, elle dure au moins une vingtaine de minutes; le pratiquant est immobile, les yeux clos, assis à même le sol, habillé de vêtements légers et confortables. Il s’agit d’une concentration de tout son être vers son Âme divine.
Les effets varient :
a) Pour le débutant : elle apporte la sérénité dans le cœur du voyageur “Soufi” tout en le rapprochant de son Âme divine.
b) Pour le Soufi confirmé : la méditation est une condition nécessaire pour parvenir à la “mort volontaire”, but de sa quête spirituelle. À ce stade, il permet à son Âme divine d’être présente le plus souvent possible et ainsi d’augmenter la conscience de notre divinité incarnée.
5) L’introspection (mohâsabeh)
Il s’agit d’une prise de conscience de chacune de ses propres actions, de chacun de ses progrès dans la Voie mystique entreprise.
On reconnaît quatre formes :
a) L’examen de soi : chaque soir avant de se coucher.
b) L’examen de la Voie : être conscient de notre Âme divine à chaque instant.
c) L’examen du Divin : surtout destiné au Grand Maître Soufi.
d) L’examen réciproque : se voir pleinement tout comme Dieu nous voit.
Digjoush et Samâ ?
Le digjoush est une rencontre qui réunit, à la maison Soufie (khanaqah), l’ensemble des Soufis. Il se tient le plus souvent lorsqu’on accueille un nouveau disciple ou initié au sein de la communauté. Dans l’ordre Nimatullahi, cette cérémonie est généralement présidée par le Grand Maître selon un protocole particulier. À cette occasion, on y sert un repas qui commémore le moment où Abraham sacrifia, sur l’ordre de Dieu, un bélier à la place de son fils. L’évènement annuel attire des centaines de Soufis ou initiés du monde entier.
Deux fois la semaine, le jeudi et le dimanche, le samâ est célébré dans les maisons Soufis. Il signifie l’écoute et, dans la terminologie Soufie, il désigne plus particulièrement l’écoute du cœur. Il s’agit d’ouvrir “les oreilles du cœur” à la musique, au rythme et à la poésie, dans un état d’oubli total de soi-même et de présence à l’amour. La pratique du samâ connut un grand engouement aussi bien auprès des Soufis pour son bénéfice spirituel qu’auprès des non Soufis attirés par les chants, la musique et l’atmosphère festive de ces séances. Lors du samâ, les Soufis pratiquent le zekr (mantra) du cœur pour remplir leur cœur du souvenir Divin.
Musique et chants sacrés ?
À chaque rassemblement formel ou informel des Soufis, il est habituel d’entendre de la musique et des chants sacrés. Ces événements génèrent beaucoup d’énergie intérieure. Les instruments utilisés s’avèrent des plus diversifiés : le sitar et le tar, joués avec les doigts; le kémantché, joué avec un archet; le santour, un xylophone joué avec des bâtons légers; le ney, une flûte verticale; et les percussions comme le daf et le zarb. La musique accompagne généralement le chant et la poésie composés par des poètes Soufis, souvent centrés sur les louanges du Bien-Aimé ou de Dieu. Il arrive aussi que l’on entende un chant rythmique basé sur la répétition d’un zekr ou encore des noms de Dieu.
Quelle est l’importance des danses rituelles dans la pratique Soufie ?
La danse est un langage aussi ancien que l’humanité mais, comme exercice rituel Soufi, elle aurait débuté vers 867 ap. J.-C. L’activité spirituelle symbolise l’ordre divin : les Soufis rassemblés en cercle tournoient sur eux-mêmes pour célébrer l’Un. De nombreuses vertus ont pu être attribuées à la danse : elle est comme un feu qui purifie, une pluie qui apaise, ou un vol d’oiseau.
De nos jours, la danse la plus célèbre et la plus esthétique reste celle des derviches tourneurs de l’ordre des Mevlevi, fondé par Roumi. Dans cette danse cosmique, le danseur tournoie sur lui-même : la main droite tournée vers le haut pour recevoir l’énergie du Ciel et la main gauche tournée vers le bas pour distribuer cette énergie à la Terre; il symbolise ainsi l’axe de l’Univers.
Le Soufisme est-il une secte ?
Le Soufisme n’est pas une secte. Il est une tradition mystique aussi ancienne que l’humanité elle-même, et il est ouvert à tous, sans distinction d’appartenance religieuse ou culturelle. Le Soufisme ne se limite pas à une période ou à une communauté; il prône des valeurs universelles d’unité et d’amour. L’ordre Nimatullahi, en particulier, base son enseignement sur l’égalité de tous les êtres humains et sur le respect sincère de toutes les religions du monde.
IV – À propos des Grands Maîtres
En suivant la vie exemplaire de Grands Maîtres, on peut illustrer l’ambiance qui régnait à l’âge d’or du Soufisme et que l’on retrouve encore dans les cercles Soufis.
Roumi (1207-1273)
La tradition mystique et poétique Soufie atteint un sommet au 13ème siècle avec Djalâl ad-Din Balkhi, aussi appelé Mowlànà Roumi. Roumi est connu en Occident comme le fondateur de l’ordre des Derviches tourneurs, réputés pour leur danse symbolisant la rotation des planètes autour du soleil.
Roumi naît à Balkh, dans le Khorassan (Iran). Son père, Bahâ’ad-Din Walad, est un célèbre théologien et Grand Maître Soufi. C’est lui qui appellera son fils mowlànà (“notre Maître”). Le véritable tournant dans sa vie mystique survient à sa rencontre avec Chams de Tabriz, alors qu’il découvre la foi illuminative, l’ivresse de l’amour divin. Il dédiera à Chams sa première grande œuvre, le Divân de Chams de Tabriz. Son chef-d’œuvre de maturité, le Masnavi, est une œuvre composée de contes, de paraboles et de discussions mystiques. Cette œuvre est considérée dans le monde persan comme l’équivalent du Coran. Roumi y prône la religion de l’Amour, au-dessus de toutes les autres religions et communautés.
Shah Nimatullahi Wali (1330-1431)
Né à Aleppe, en Syrie, Nimatullahi a beaucoup voyagé dans le monde musulman tout en étudiant les philosophies de plusieurs grands Maîtres. Il devient disciple de Abdollah Yafe’ i à la Mecque et atteint une transformation spirituelle profonde. Il finira par s’établir à Kerman, en Perse, où son tombeau repose près de Mahan. À sa mort, sa renommée s’était étendue dans toute la Perse et les Indes.
Javad Nurbakhsh (1926-2008)
Grand Maître de l’ordre Nimatullahi, Javad Nurbakhsh a profondément revitalisé le Soufisme en Iran et en Occident. Il a écrit plus de 100 livres sur le Soufisme et a fondé des maisons d’assemblée dans plusieurs pays. Sa sagesse a marqué le 20ème siècle par son enseignement axé sur l’égalité des sexes, la sobriété et l’ouverture aux autres convictions.
Alireza Nurbakhsh (Grand Maître depuis 2008)
Fils de Javad Nurbakhsh, Alireza est l’actuel Grand Maître de l’ordre Nimatullahi. Il a repris la direction de l’ordre après le décès de son père en 2008 et continue de promouvoir l’héritage Soufi à travers le monde.
V – Jésus vu par les Soufis
Dans la littérature Soufie, Jésus est souvent présenté comme le modèle parfait de l’être humain et un exemple de Grand Maître. Jésus incarne des qualités humaines de sincérité, de pureté, d’amour et de charité. Les Soufis, loin des préjugés religieux, l’ont préservé dans leur cœur et dans leurs enseignements comme un prophète de Dieu, et un modèle de sainteté.
VI – Un Développement durable inspiré
Le Soufisme ne concerne pas seulement la quête intérieure. Il a aussi un rôle à jouer dans le développement global de l’humanité. À travers la quête de l’unité et de la pureté, les Soufis proposent des réponses aux enjeux contemporains comme le développement durable et les changements climatiques. Les Soufis préconisent un mode de vie harmonieux, où l’équilibre entre le corps, le mental et les émotions est essentiel à la survie et à l’épanouissement de l’humanité.
Conclusion : Les deux principaux messages du Soufisme
Le Grand Maître Javad Nurbakhsh résume l’enseignement du Soufisme en deux messages principaux :
1) Le Soufi doit chercher à ne voir que l’Unique et ne penser à rien d’autre.
2) Le Soufi doit être un exemple des plus hautes valeurs humaines et éthiques.
Le Soufisme est une école d’unité et de purification éthique qui concerne tous les êtres humains, indépendamment de la race et de la culture. Plus que jamais, dans un monde matérialiste, les Soufis sont appelés à incarner des qualités humaines qui peuvent inciter les autres à tendre vers de telles valeurs.