Interview du Maître Soufi Dr. Javad Nurbakhsh – I par journalsoufi
Dr. Javad Nurbakhsh, 12/10/1926 – 10/10/2008
Début de la dernière interview du Dr. Javad Nurbakhsh, maitre de la confrérie Nématollahi pendant plus de 50 ans, conduite en Mars 2008 dans le cadre d’un documentaire sur le mysticisme (en anglais et persan). Dr. Nurbakhsh nous parle des limites de la parole pour décrire les expériences intérieures. De nombreuses questions pertinentes lui sont posées auxquelles il répond systèmatiquement par le point de vue non-intellectuel de l’expérience de l’Amour (ou de la Vérité).Son fils et succèsseur Alireza Nurbakhsh traduit en anglais les réponses du maitre en persan. Mis a notre disposition gracieusement par LLew Smith de Vital Pictures.
Voici la traduction en francais:
Journaliste: J’ai quelques questions a vous poser. Je parlerai principalement de ce dont vous voulez bien parler.
DJN: Tout ce qui s’exprime sous forme de mots n’est pas le soufisme (…rires…)
Journaliste: C’est un début difficile ! Qu’en est-il des choses qui entourent les mots ?
DJN: Tout ce que vous direz sur le soufisme au moyen des mots sera une réduction du soufisme et ce n’est pas vraiment le soufisme.
Journaliste: Ceci me met dans une position très difficile. Comment voulez vous que les gens comprennent ce qu’est le soufisme si on n’utilise pas de mots ?
DJN: Le soufisme est le néant. Vous devez devenir le néant pour comprendre le soufisme.
Journaliste: Est-ce la seule façon de comprendre le soufisme ? il semble que la seule manière de comprendre le soufisme est de devenir un soufi.
DJN: Le soufisme est quelque chose que l’on devient, pas quelque chose dont on parle.
Journaliste: Quelle est alors la meilleure façon pour une personne sincère de comprendre ce que signifie devenir le néant ?
Quelle est le meilleur des premiers pas a faire ?
DJN: Devenir soufi.
Journaliste: Comment etes vous devenu soufi ?
DJN: Il existe une autre voie. Vous devenez d’abord complètement fou, puis vous devenez soufi. C’est la voie que j’ai choisi.
Journaliste: Que voulez dire par devenir fou. Fou de Dieu ? Fou de quoi ?
DJN: Je cherchais la vérité et je suis tombé en quelque sorte « par hasard » sur cette voie.
Journaliste: Avant de trouver cette voie, comment avez vous cherché ? Certaines personnes vont dans les églises, d’autres perdent la tete en cherchant tout en ne trouvant jamais la vérité. Qu’avez-vous fait ?
DJN: J’ai été voir directement le maitre de cette voie, car je connaissais déjà les autres voies, les voies de la religion.
Journaliste: Et le Cheikh auquel vous aviez parlé, vous souvenez vous ce qu’il vous a dit ? Vous souvenez vous de ce qu’il s’est passé ?
DJN: Lorsque je suis allé le voir, de toutes les personnes que j’ai rencontré dans ma vie, j’aimais vraiment cette personne. Après avoir rencontré le cheikh, j’ai dit a mon guide qui m’avait emmené jusqu’ici de retourner seul et que je restais ici, c’est a ce point la que j’aimais cette personne.
Journaliste: Beaucoup de gens passent leur vie sans jamais trouver une telle personne.
DJN: Comme je vous ai expliqué déjà, tout ce qui se dit avec les mots n’est pas du soufisme, donc tout ce que je peux dire est réducteur. Vous devez devenir soufi afin de comprendre ce qu’est le soufisme.
Journaliste: Pour les personnes qui regardent cet entretien et qui ont des difficultés avec cette question de l’ego – existe-t-il une façon d’expliquer pourquoi l’égo est un tel obstacle ?
DJN: Une autre facon d’appeler le nafs (égo) est le Moi. Les gens qui veulent devenir soufi, ils oublient leur égo puis changent, et les personnes qui sont déstinées a devenir soufi anhileront leur égo dans l’égo de la personne qu’ils aiment, leur guide.
Journaliste: Si vous n’etes pas destiné a devenir soufi, qu’arrive-t-il a une telle personne ?
DJN: il n’est pas nécessaire que tout le monde sache ce qu’est un soufi. (…rires…)
Journaliste: Mais ca serait une bonne chose, n’est-ce pas ?
DJN: Alors le monde deviendrait un asile de fous. (…rires…)
Journaliste: Lorsque vous etes devenu soufi, etiez-vous toujours fou ? Quelle est la différence entre un fou et un soufi ?
DJN: La différence est que le soufi sait qu’il est fou alors que le fou ne le sait pas. (…rires…)
Journaliste: Est-ce que cette folie dont nous parlons est la meme chose que l’annhilation en Dieu, ou bien est-ce différent ?
DJN: Il semblerais que vous n’avez pas compris ce qu’est le soufisme, ce que vous demandez ne relève pas du soufisme, c’est un autre sujet. (…rires…)
Journaliste: Ok, parlons d’autre chose…J’ai lu des articles sur votre travail en tant que psychiatre, et je me demandais ce que vous y aviez appris, plus particulièrement en ce qui concerne les etres humains.
DJN: Les psychiatres ne savent rien.
Journaliste: Qu’avez vous fait ?
DJN: Je vous l’ai dit, je suis devenu fou. (…rires…)
Journaliste: Etant donné ce que vous avez dit a propos de ce travail, etait-il difficile ?
DJN: C’est comme si vous demandiez a un maitre de la voie de jouer au ballon.
Journaliste: Est-ce que votre choix de profession était important ? Est-ce que cela aurait put avoir des conséquences ?
DJN: Non
Journaliste: Pourquoi est-ce important que les derviches aient un travail ?
DJN: La première chose est que les etres humains doivent travailler pour gagner leur vie. Deuxièment, un derviche doit savoir ce en quoi le reste de l’humanité croit, et comprendre que c’est totalement absurde.
Journaliste: Puis-je poser des questions sur des choses qu’il a écrite, des mots qu’il a écrit ?
DJN: Oui
Journaliste: A propos du péché, le plus grand péché est de blesser le coeur d’un autre. Peut-il commenter ce propos ?
DJN: Il y a deux facons de communiquer avec les autres. La première est de le faire sans votre égo, ce qui peut etre utile, et la deuxième manière est de la faire avec l’égo ce qui peut etre parfois nuisible.
Journaliste: Pour ceux parmi nous qui ne comprennent pas, que voulez-vous dire par le souvenir continuel et désinteressé de dieu, qu’est-ce que cela signifie ?
DJN: Il y a deux chose, consèquence du souvenir continuel de dieu , une est de devenir zero qui est egal a l’infinité et la deuxième est de devenir l’infinité qui est égale a zéro.
Journaliste: Est-ce que le zéro et l’infinité sont tous les deux dieu ?
DJN: Si vous voulez poser une question aussi religieuse vous devez aller a la mosquée.
Journaliste: Ou bien l’église ?
DJN: C’est pareil.
Journaliste: Qu’elle est la différence entre la chariah et la tariqa ?
DJN: La chariah consiste en différentes croyances. La tariqa (la voie) signifie que la personne qui a tout appris n’est pas satisfaite et s’engage donc dans cette voie.
Journaliste: La voie de la dévotion et de l’amour ?
DJN: C’est une facon de voir les choses.
Journaliste: Existe-t-il une autre facon de voir les choses ?
DJN: Il y a autant de facons que de personnes.
Journaliste: Existe-t-il différentes voies soufies ?
DJN: Il y a de nombreuses voies, mais il faut comprendre laquelle est celle de la verité et laquelle est celle des affaires.
Journaliste: Je pense qu’il m’est facile de comprendre ce qu’est la voie des affaires.
DJN: Le critère est que le soufisme est la voie de l’amour, les autres voies sont les voies de l’intellect.
Journaliste: C’est compliqué
DJN: Ce n’est pas ma faute. (…rires…)
Journaliste:Iil semble que pour apprendre il faut ouvrir son coeur.
DJN: La précondition de l’amour est que l’égo se transforme en celui de l’autre personne.
Journaliste: Si je frappe a la porte et que l’on me répond qui est la, la réponse est “toi” ?
DJN: Cette histoire de Bayazid, la morale est qu’il n’y a pas de toi et Lui, tout est Lui.
Journaliste: et qui est “Lui” ?
DJN: L’existence
Journaliste: Et l’existence c’est le divin ?
DJN: ….je ne peux pas répondre…
Journaliste: La question des mots m’interesse. Je comprends que l’on ne peut pas décrire le soufisme par les mots, mais les mots sont importants.
DJN: Les mots pointent vers l’intellect. Dans l’amour il n’y a pas de mots. Les mot appartiennent au monde de l’intellect. Il n’y a pas de mots dans l’amour.
Journaliste: De nombreuse personnes pensent que vos poemes ne relevent pas de l’intellect.
DJN: Je n’ai pas écrit de poemes.
Journaliste: je suis confus.
DJN: Vous parlez avec le langage de l’intellect et je parle le langage de l’amour, et nous ne nous comprenons pas.
Journaliste: que veut-il dire, qu’il considère que ce qu’il écrit, ce ne sont pas des poèmes ou bien qu’il n’écrit pas de poèmes ?
DJN: C’est le langage d’une personne qui est devenu fou et qui prononce ces choses mais qui ne viennent pas de l’égo. C’est pour cela qu’un non-soufi ne comprends pas le sens des ces mots.
Journaliste: ce ne sont donc pas ses mots ?
DJN: Ce sont a la fois mes mots et pas les miens.
Journaliste: Est-ce que votre coeur est ouvert ? oh, mon coeur est ouvert mais je n’ai plus de mots.
DJN: C’est pour cela que l’on dit que dans le soufisme il n’y a ni questions ni réponses.
DJN: Avons nous dit quelque chose aujourd’hui ?
Journaliste: Je pense que l’on a dit beaucoup de choses mais je ne crois que les gens y comprendront grand chose. Et je pense que c’est bien.
DJN: les mots des lunatiques ne peuvent pas etres compris pas tout le monde.
Journaliste: Si je ne suis pas appelé dans cette voie, est-ce qu’il y a une facon pour moi de connaitre dieu ?
DJN: Certainement pas.
Journaliste: Dieu appelle en premier ?
DJN: Oui
Journaliste: Et probablement pas avec des mots ?
DJN: Oui