Par Alireza Nurbakhsh
La religion a toujours été une source de conflits dans le monde. Il est donc surprenant pour beaucoup de gens d’entendre que l’une des explications de la montée de l’intolérance religieuse est le manque de guides spirituels. Contrairement aux leaders religieux, les guides spirituels enseignent par l’exemple et rarement par des mots.
L’histoire suivante illustre ce principe d’enseignement par l’exemple, bien qu’elle puisse sembler fantastique à nos oreilles modernes. Un jour, le grand poète Attar (mort en 1221), pharmacien de profession, reçut la visite d’un étranger dans son officine. « Comment comptes-tu mourir ? » lui demanda l’étranger. Sans prêter grande attention à l’homme, Attar répondit : « Exactement comme vous ! », tout en continuant son travail. L’étranger insista : « Peux-tu vraiment mourir comme moi ? » Attar répliqua : « Oui ». À cet instant, l’homme se coucha par terre, posa son sac sous sa tête et rendit l’âme sous les yeux d’Attar. En voyant cela, Attar comprit qu’il venait de rencontrer une personne d’un état spirituel avancé, envoyée comme guide. Émerveillé, il décida de consacrer sa vie à la voie spirituelle.
Un guide est avant tout un canal, destiné à aider le voyageur à atteindre la vérité. Par définition, les guides ne peuvent donc pas être les objets des quêtes spirituelles ; leur unique fonction est d’indiquer à ceux qui les suivent le chemin à suivre dans un monde sauvage rempli de dangers.
L’expression « le bon chemin » ne signifie pas qu’il n’existe pas d’autres voies pour atteindre le même but spirituel. Toutefois, un guide ne connaît que le chemin spécifique qu’il a lui-même appris et parcouru dans le cadre d’une tradition spirituelle particulière. Un véritable guide spirituel ne prétend jamais que la voie qu’il enseigne est la seule menant à la vérité. « Il existe autant de chemins vers Dieu qu’il y a de personnes » est un adage soufi bien connu.
Ce que les guides spirituels ont en commun, c’est leur conviction que les êtres humains sont en ce monde pour rechercher la perfection spirituelle. La seule manière d’enseigner et d’atteindre ce but est de manifester et vivre par l’exemple les qualités divines. Un guide ne se contente pas de dire « soyez bons », mais agit toujours avec bonté.
Un véritable guide ne se soucie pas des doctrines religieuses ou métaphysiques. Il comprend que ce qui rend les gens « bons » n’est pas tant ce qu’ils croient, mais plutôt la façon dont ils se comportent envers les autres. Dans ce sens, un guide spirituel ne fait pas de distinction entre chrétiens, bouddhistes, hindous, juifs, musulmans, agnostiques ou athées.
On raconte une histoire sur Abu Said Abul-Khayr (mort en 1049), un des grands maîtres soufis d’Iran. Un dimanche, alors qu’il passait devant une église et entendait une assemblée de chrétiens en prière, il décida d’entrer. Sa présence rendit heureux tous les fidèles, et en son honneur, ils récitèrent des versets du Coran. Ce fut une joyeuse réunion, pleine d’exaltation. Après un moment, Abu Said se leva et partit. À l’extérieur, un de ses disciples lui dit : « Il y avait tellement d’amour dans cette assemblée que si vous leur aviez demandé de se convertir à l’islam, ils l’auraient tous fait. » Abu Said répondit : « Ils ne sont pas devenus chrétiens grâce à moi, pourquoi devrais-je maintenant leur demander de renoncer à leur foi ? »
Le rôle d’un guide spirituel va au-delà de l’exemple. Il demande également un changement profond de la part de celui qui le suit. Ce dernier ne doit pas seulement se souvenir d’être bon aussi souvent que possible, mais doit instinctivement manifester la bonté en toutes circonstances.
C’est là que réside la raison la plus importante d’avoir un guide spirituel : nous ne pouvons surmonter nos défauts seuls. Nous avons besoin d’aide pour nous transformer, pour devenir une meilleure personne, c’est-à-dire quelqu’un capable de manifester les traits d’un caractère divin. Livrés à nous-mêmes, nous pouvons facilement ignorer nos failles. Dans ce contexte, un guide peut être toute personne nous aidant à surmonter nos défauts.
Dans le soufisme, le guide spirituel (Pir) aide le chercheur de vérité à voyager de l’état d’adoration de soi, ou égocentrisme, vers l’état de désintéressement, ou annihilation du moi (fana), à travers l’amour. Dès lors, on peut dire que les qualités les plus importantes d’un guide, du point de vue soufi, sont le désintéressement et la capacité à aimer inconditionnellement.
La qualité de désintéressement permet au guide de s’assurer que le chercheur ne fasse pas du guide une idole, devenant ainsi un adorateur d’idoles. Le travail du guide consiste à éliminer les idoles du chercheur, qu’il s’agisse d’attachements aux possessions, croyances, jugements des autres ou, en dernier lieu, à l’attachement au guide lui-même. L’objectif est de permettre au disciple de traverser la voie de l’unité, en voyant toutes les personnes et toutes les choses comme une seule et même entité.
C’est à travers l’amour que le guide tente d’éliminer les idoles du chercheur. Cet amour peut cependant prendre différentes formes, telles que l’ignorance apparente des demandes du chercheur, des remontrances ou la charge de tâches désagréables. Si l’on veut aider quelqu’un qu’on aime à changer de comportement, il faut utiliser tous les moyens nécessaires pour y parvenir. Rester indifférent n’est pas aimer.
Démanteler les idoles n’est pas une tâche facile, car le chercheur peut ressentir de la rancœur ou de la colère envers le guide, qui lui demande de changer. Le grand maître soufi Bayazid (mort en 875) ne plaisantait pas lorsqu’il disait : « Je suis plus en sécurité avec ceux qui me renient qu’avec ceux qui prétendent être mes disciples. »
Dans la tradition soufie, le maître exige un amour et une amitié inconditionnels. La transformation du chercheur commence seulement lorsqu’une confiance totale existe envers le guide. C’est pourquoi il est important que le chercheur soit testé, aussi bien par des expressions d’amour que par la sévérité du guide. Les amitiés profondes naissent dans des circonstances inhabituelles, lorsque les gens vont au-delà des attentes par souci les uns des autres.
Shams Tabrizi (mort en 1248), le personnage le plus important de la vie de Rumi (mort en 1273), qui le guida sur la voie de l’amour divin, déclara une fois : « Je serai sévère avec quiconque j’aime. S’il accepte ma sévérité, alors je lui appartiens. »
Peut-être la raison pour laquelle Rumi éprouvait un amour inconditionnel pour Shams est-elle qu’il comprit que la sévérité de Shams à son égard n’était motivée que par l’amour.
Ô Shams, tu es le roi plein de courroux,
Tu es l’océan que recherchent les perles.
Une fois que Rumi accepta la sévérité et l’amour de Shams comme les deux faces d’une même pièce, Shams le reconnut comme un véritable ami. Comme Shams le disait : « J’ai un seul ami dans le monde entier, et c’est Rumi. »
Le travail du guide a de multiples facettes, mais pour que le chercheur puisse recevoir de l’aide tout au long de son chemin spirituel, il doit exister une véritable amitié spirituelle, fondée sur une confiance réciproque, et non une relation basée sur le moi et ses désirs.