Par Aliréza NURBAKHSH, traduit du magazine SUFI N° 78.
Le premier pas sur la voie du soufisme est de se soumettre à Dieu. La vraie soumission n’est pas une décision consciente qui serait le résultat d’une série de délibérations personnelles. La vraie soumission arrive souvent après des années de frustration dans la recherche de la ‘’bonne’’ façon de gérer nos vies, dans la quête de la bonne façon de se comporter avec les autres ou de contrôler nos comportements d’autodestruction. Finalement, certains chercheurs finissent par laisser tomber (leur quête personnelle) et se soumettent. N’ayant plus d’autre choix, ils sont conduits vers la soumission ; ils comprennent sans réserve que c’est la meilleure chose à faire.
Mais que signifie le fait de se soumettre à Dieu ? Bien que je croie que le fait de se soumettre n’est pas fondamentalement basé sur le raisonnement, que nous ne sous soumettons pas à Dieu parce qu’il y a des arguments convaincants pour le faire, nous pouvons quand même nous interroger sur la signification d’un tel acte. Nous pouvons nous poser des questions comme celles de savoir ce que signifie se soumettre à Dieu et comment une telle soumission peut-elle être atteinte.
Dans une perspective linguistique, la soumission a du sens uniquement dans le contexte du combat ou de la résistance à quelque chose.si nous n’étions pas en train de nous battre avec quelqu’un ou quelque chose, se soumettre n’a pas trop de sens. Dans un combat ordinaire lorsque nous réalisons qu’il ne sert plus à rien de nous battre, nous nous soumettons. Il en est de même dans le monde spirituel. Mais contre qui nous battons nous avant de réaliser que nous devons nous soumettre à Dieu ? Contre les autres personnes, pourrait-on répondre. Les autres gens sont habituellement au travers du chemin de la satisfaction de nos désirs et de nos manques. Nous passons d’innombrables heures que ce soit en pensée ou souvent à travers des mots ou même physiquement à nous battre avec les autres. Certaines personnes sont assez chanceuses pour réaliser que ce n’est que la partie visible de l’iceberg et que notre animosité envers les autres est simplement symptomatique de nos propres qualités négatives. Ils réalisent que le véritable ennemi est à l’intérieur et que pour vivre en harmonie avec les autres, nous devons d’abord conquérir ou dominer nos propres personnes. Cet ennemi en d’autres mots, correspond à ce que les soufis ont appelés le nafs ou l’égo. L’obstacle qui se trouve entre nous et une vie harmonieuse avec le reste de l’humanité n’est rien d’autre que notre propre personne.
Un exemple pour illustrer ce point est celui de l’avidité. Les gens avides ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont, ils veulent toujours quelque chose en plus. Cette qualité les fera inévitablement entrer en conflit avec les autres. Les gens avides qui sont chanceux se rendront finalement compte que la source du problème n’est pas du tout chez les autres gens mais dans leurs propres personnes. Ils réalisent que leur propre avidité est la source de tous leurs conflits avec les autres ; ainsi, ils essaieront de contrôler leur avidité au lieu de blâmer les autres.
Une fois que nous réalisons que notre véritable ennemi est notre propre égo, nous pourrions conclure que la solution est de contrôler l’égo ou même de le détruire. Nous pourrions commencer ainsi à combattre très sérieusement les désirs et souhaits de notre égo. Mais si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous réaliserons très vite que notre combat contre l’égo est une bataille perdue d’avance et que nous devons renoncer à gagner ce combat avec nos moyens personnels. Reprenons l’exemple des gens avides. On peut imaginer qu’une fois que les personnes avides prennent conscience de leur avidité, ils conçoivent divers plans pour éviter de se comporter d’une façon avide. Par exemple, chaque fois qu’ils ressentent de l’avidité, ils pourraient aller marcher ou essayer de méditer ou faire quelque chose d’autre pour détourner temporairement leur avidité. Mais malgré cela, ils se rendront compte que le sentiment d’avidité ne les quittera pas. Ils ne vaincront leur avidité que lorsqu’ils ne ressentiront plus l’avidité en eux-mêmes. Cependant, cela n’est pas une chose que nous pouvons réaliser par la seule force de la volonté. Bien que nous soyons capables d’arrêter d’agir avec avidité par le moyen de notre seule volonté, nous ne pouvons pas arrêter le sentiment d’avidité. Le fait de réaliser que nous sommes incapables de faire plus pour changer notre nature basique et que nous devons nous accepter tels que nous sommes est le début de la voie de la soumission.
Une fois que nous réalisons que le combat avec notre propre égo ne nous fait pas avancer, nous réalisons alors que la voie qui s’ouvre à nous est celle de la soumission à notre condition. Mais qu’est ce que nous soumettons et à qui est ce que nous le soumettons ? La soumission arrive à partir du moment où nous arrêtons de nous battre contre les autres et contre nous-mêmes. Nous acceptons les autres tels qu’ils sont et nous nous acceptons tels que nous sommes. Nous ne sommes pas affectés par les qualités négatives des autres personnes ou par nos propres défauts. Une fois que nous acceptons le monde tel qu’il est, comme une manifestation d’une Vérité qui englobe tout, l’on peut dire que nous nous sommes soumis à Dieu. En nous soumettant à Dieu, nous réalisons que nous ne pouvons pas vaincre nos défauts par nos propres moyens mais que nous devons plutôt rechercher l’aspiration et l’aide en dehors de nous-mêmes, que ce soit auprès de Dieu ou de notre guide spirituel.
L’essence de la soumission à Dieu est notre acceptation du monde tel qu’il est. Une histoire du Bhagavad Gita illustre très profondément cette idée d’acceptation : il y’avait un sage qui sauvait sans cesse un scorpion de la noyade dans les eaux du Gange et qui en retour de ses efforts se faisait toujours piquer. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il continuait à sauver cette créature venimeuse, le sage répondit que la nature (dharma) du scorpion est de piquer mais que la nature (dharma) d’un être humain est de sauver.
Dans notre culture contemporaine, l’acte de soumission est vu comme étant de la passivité et une qualité négative. Nous sommes plutôt encouragés à changer nos personnes et notre environnement, à ne pas renoncer face aux difficultés et à ne jamais nous soumettre à notre condition.
On a le sentiment que notre culture est en désaccord avec l’idée de la soumission spirituelle tel qu’expliqué ci-dessus. Dans la mesure où le constant changement en nos personnes et dans notre environnement exigé par la culture crée des conflits en nous et avec ceux qui nous entoure, alors de telles normes culturelles sont en réalité incompatibles avec l’acceptation du monde tel qu’il est. Par exemple, accepter notre avidité est une chose, mais être encouragé à être avide au prix de la destruction de notre environnement, c’est une autre chose; chercher un travail avec un salaire suffisant est une chose mais changer constamment de travail en quête de plus d’argent ou d’une position sociale, c’est une autre chose ; exceller dans ce que nous faisons est une chose, mais le faire aux dépens d’autres personnes, c’est une autre chose.
Toutefois fondamentalement, la soumission spirituelle ne doit pas être en conflit avec l’effort d’amélioration de nos personnes et de notre environnement. Accepter le monde tel qu’il est ne veut pas dire que nous ne devons pas ou que nous ne pouvons pas contribuer à son harmonie ou à sa beauté. L’une des caractéristiques de ceux qui se sont soumis à Dieu est que de telles personnes ne sont plus motivés et guidés par l’intérêt personnel, car c’est cela qui les fait entrer en conflit avec les autres gens. Par un tel comportement, ils achèvent ainsi le chemin de leur soumission. Il va sans dire que c’est seulement lorsque nous ne sommes plus en guerre avec nous-mêmes et avec les autres que nous devenons créatifs et compatissants envers les autres. Après tout, sauver est notre essence.