Terry Graham
Durant les premiers temps du Soufisme, la deuxième et la troisième
génération après le Prophète, la communauté Islamique, à l’instar de
tout mouvement humain, commença à se fragmenter, avec l’apparition
d’individus qui trouvaient dans le nouvel enseignement, de nouvelles
valeurs qui leurs convenaient. Pendant que certains couraient après le
pouvoir, prenant le train de l’opportunisme politique en marche, et que
d’autres recherchaient le prestige en s’imposant comme autorité dans le
domaine de la tradition ou de l’exégèse coranique, un petit nombre
tentait de rester fidèle au message originel de l’Islam.
Ceux qui cherchaient inébranlablement à adhérer à l’Unité Divine, sans revendication ni prétention, furent connus sous le nom de Soufis. On peut affirmer qu’ils étaient les seuls véritables héritiers de l’idée Islamique de l’attention inlassable à l’Unité Divine, l’attention à Dieu et à rien d’autre, invisible et inaccessible à la raison, connu seulement dans le cœur.
Du second au cinquième dans la chaîne moderne de transmission initiatique les successeurs de Ali Ibn Abî Tâlib le cousin et gendre du Prophète (d. 661 CE ), furent des individus exemplaires. Le premier disciple d’Alî dans la chaîne était Hasan Basrî. (d. 110/728), fils d’un mawlâ (servant) persan dans la tribu Quraysh des arabes qui habitaient la ville de la Mecque, dans le Hijaz arabique.
Le disciple de Hasan, à son tour, était un autre persan, Habîb Ajami (d. 119/737), dont la nationalité était pleinement indiquée dans son sobriquet même. Les arabes appelaient tout non arabe, mais spécialement les Iraniens, al-Ajami (‘L’étranger’) ; un terme que les Persans acceptaient naturellement avec l’insouciance assurée de gens issus d’une civilisation millénaire.
Tout comme son maître Hasan, sa famille était mawlâ, des servants sous contrat chez les arabes. Longtemps avant l’avènement de l’Islam il était courant de voir des artisans Iraniens talentueux louer leurs services aux riches arabes. De cet échange naissait une relation mutuellement bénéfique aux deux partis. En raison du fait que ces artisans Iraniens cherchaient à échapper au système rigoureux de caste des gouvernants Sassanides de l’Iran préislamique, ils furent attirés par les aspects démocratiques de l’Islam, et furent parmi les premiers à l’adopter et à l’accueillir avec ferveur, à l’instar de leur compatriote Salmâm le Persan (né Rûzbih), le compagnon de cœur du Prophète.
Le grand-père de Habîb embrassa l’Islam aux premières heures, prenant le nom « Muhammad» en l’honneur du Prophète, tandis que son fils, le père de Habîb, devenait Isâ, le nom arabe de Jésus, le modèle de l’amour, raison pour laquelle les soufis ont pour lui, une profonde vénération.
Habîb commença à Basra une vie banale sans perspectives, travaillant comme usurier itinérant, allant chaque jour à la recherche de nouvelles affaires. S’il recevait le remboursement d’un prêt à intérêts il s’en contentait sinon il louait ses services en tant que courtier, moyennant salaire. Un jour qu’il s’était rendu au domicile d’un de ses débiteurs qui était sorti, il trouva sa femme qui lui dit ne rien posséder d’autre qu’un reste d’épaule de mouton.
Acceptant la viande, il s’en retourna chez lui et demanda à sa femme de la faire cuire. Elle lui fit observer qu’il n’y avait ni bois pour le feu, ni pain pour accompagner la viande. Il décida alors de repartir chercher le nécessaire pour le repas.
Pendant que sa femme préparait la viande, Habîb entendit un mendiant qui demandait l’aumône à sa porte. Il alla à sa rencontre et s’écria : « Tu ne deviendras jamais riche avec le peu que je vais te donner, mais moi cela me rendra encore plus pauvre. » Le mendiant s’éloigna alors.
Lorsque la femme voulut servir la viande, elle se rendit compte qu’elle était crue et baignait dans un flot de sang. Saisie d’épouvante, elle dit à son mari que son attitude envers le mendiant leur avait apporté la malédiction. Quand Habîb vit la chair crue, une étincelle s’embrasa dans son cœur et il fut frappé de remords.
Le jour suivant était vendredi, jour de prière. Il s’en alla, comme d’habitude, faire la collecte chez ses débiteurs. Mais cette fois, il n’acceptait que le principal du prêt, refusant tout intérêt. En même temps, il ressentait l’envie pressente de rencontrer Hasan Basrî, un maître spirituel très renommé.
En fin de compte, il décida de se rendre chez le maître. Chemin faisant, il rencontra des enfants qui jouaient dans la rue. A la vue de l’usurier qui venait dans leur direction, les enfants se mirent à crier épouvantés, le fuyant, de crainte que la poussière infecte de ses pieds ne les pollue et ne les contamine.
Se sentir ainsi méprisé par de si jeunes et innocents enfants fut comme un coup de massue pour Habîb. Il arriva chez Hasan au moment où celui-ci prononçait une homélie. Il se jeta aux pieds du maître, fit pénitence, et s’installa parmi ses disciples pour apprendre la sagesse. Le maître l’initia et lui donna ses premières instructions sur la voie soufie.
Lorsqu’il sortit, il rencontra un de ses débiteurs qui, aussitôt, tenta de se dérober. Habîb courut après lui pour le rassurer et lui dire qu’il n’avait pas besoin de l’éviter. « Jusqu’aujourd’hui tu cherchais à m’éviter, lui dit-il, à présent c’est à moi de te fuir ! ».
Sur le chemin du retour, il croisa de nouveau les enfants qui se mirent à chanter cette fois, « Eloignez-vous ! Ne laissez pas la poussière de vos pieds atteindre l’usurier qui a fait pénitence, sinon vous deviendrez de répugnants pécheurs ! ».
Habîb-le-repenti et nouvellement initié pria : « Ô Seigneur ! Cela fait à peine une heure que j’ai fait la paix avec Toi. Tu as effacé les malédictions qui accueillaient mon nom, diffusant la nouvelle dans le cœur des gens. »
Il invita alors tous ses débiteurs à sortir de leurs cachettes pour reprendre leurs engagements écrits. Lorsqu’ils furent tous réunis, il leur restitua tout ce qu’il avait pris en gage. Il se débarrassa de tous les biens qu’il avait amassés grâce à ses prêts jusqu’à ce qu’il ne lui resta rien. Après que tous furent partis, un personnage insolite apparut pour revendiquer son dû. N’ayant plus rien à offrir, Habîb retira sa chemise et la lui donna.
Pour commencer une nouvelle vie d’ascète repenti, Habîb se bâtit un ermitage sur le bord de l’Euphrate où il s’adonnait entièrement aux œuvres de piété. Le jour, il s’instruisait auprès de Hasan Basri, et la nuit, se retirait dans sa cellule pour s’adonner aux pratiques spirituelles.
Un jour, en visite chez lui, sa femme désespérée se plaignit de dénuement et de manque de provisions. Il répondit : « Il est généreux Celui là pour Qui je travaille. J’ai honte devant Sa munificence de demander quoi que ce soit. Il pourvoira le moment venu. » Il assura sa femme que Dieu lui avait promis un salaire tous les dix jours.
Il s’en retourna alors à ses œuvres de dévotion pour les dix prochains jours. Au dixième jour, il se demandait ce qu’il apporterait à la maison. Sur ce, Dieu envoya à sa femme un porteur avec un chargement d’épices. Un second arriva avec de la viande, et un autre avec du miel et de l’huile. Un beau jeune homme se présenta avec une bourse de cent dirhams, lui disant que cet argent venait de la part du patron de Habîb et qu’elle devrait dire à son mari de redoubler d’effort de sorte que son salaire soit augmenté. Sur ce, il se retira.
A la tombée de la nuit, Habîb arriva à la maison, déprimé et embarrassé. Pendant que sa femme l’accueillait, il sentit une bonne odeur de cuisine. Elle lui demanda pour qui il travaillait et lui répéta le message du jeune homme.
« Stupéfiant ! » s’écria Habîb. « J’ai travaillé dix jours et Il m’a récompensé si généreusement ! Imagines-tu ce qu’Il donnerait si je travaillais encore plus ! »
C’est ainsi qu’il se détourna complètement de ce bas-monde pour se tourner vers Dieu, jusqu’à ce qu’il devint l’un de ceux dont les prières sont les plus exhaussées.
Un jour, en promenade, Hasan Basri s’arrêta aux bords du Tigre. Habîb vint le trouver et lui demanda pourquoi il se tenait là. « J’attends un bateau » répondit Hasan. « Ô Maître, dit Habîb, j’ai appris ce que je sais de toi. Chassez de votre cœur la cupidité et l’amour de ce bas monde. Accueillez les tourments comme des bienfaits en considérant chaque chose comme venant de Dieu, et posez votre pied sur l’eau pour passer de l’autre côté. » Sur ce, Habîb posa son pied sur la surface de l’eau et traversa la rivière.
Hasan perdit connaissance. Quand il reprit ses sens, on l’interrogea sur ce qui lui était arrivé. Il répondit : « Habîb s’est instruit auprès de moi et à présent il m’adresse des reproches et m’humilie en marchant sur l’eau. »
Une autre fois, Hasan rendit visite à Habîb dans son ermitage au moment où celui-ci faisait sa prière du soir. Sa prononciation de l’arabe était celle des étrangers qui prononce le h de al-hamdu li Llâh comme un h ordinaire. A cause de cela, Hasan insista pour faire seul sa prière, plutôt qu’en compagnie de Habîb. Cette nuit-là, Hasan vit Dieu en songe et Lui demanda : « Seigneur, que faut-il faire pour mériter ton approbation ? » Dieu répondit : « Certes Hasan, tu avais rencontré mon approbation mais tu n’as pas su en apprécier la valeur. » « Qu’est-ce donc, Seigneur ? » s’écria Hasan tout surpris. « La prière faite à la manière de Habîb, déclara Dieu, car cette prière aurait eu plus de valeur que toutes celles que tu as faites dans le cours de ta vie entière, mais ta fixation sur la prononciation correcte a anéanti la rectitude de ton intention. »
Il y a donc une distinction entre dire les choses comme il faut, et les avoir correctement dans le cœur.
Fuyant les agents du cruel ministre Hajjaj b. Yûsuf Thaqafî parce que certains personnages de la classe dirigeante considéraient ses opinions comme étant trop radicales, Hasan Basri vint se réfugier dans l’ermitage de son disciple Habîb. Lorsque les fonctionnaires de l’état arrivèrent chez lui, ils furent informés que Hasan se trouvait chez Habîb. Ils s’y rendirent mais ne trouvèrent pas Hasan. Sur le départ, ils dirent à Habîb : « Vous autres hérétiques méritez bien ce que Hajjaj vous fait subir car tout ce que vous faites c’est dire des mensonges. » Habîb répliqua : « Je ne vous ai jamais dit que Hasan n’était pas là. Il est bel et bien là ; mais que puis-je y faire si vous ne le voyez pas ? »
Ils se mirent à chercher de nouveau avec plus d’ardeur, mais ne trouvant pas Hasan, ils s’en allèrent. Hasan sortit et dit à Habîb qu’il avait eu une attitude digne d’un maître, en ne mentant pas, et en ne niant pas qu’il était là. « Ô Maître, » répliqua Habîb, « tu as été sauvé grâce à ma sincérité. Si j’avais menti, nous aurions été tous deux en difficulté. »
A une autre occasion, Hasan rendit visite à Habîb qui lui offrit un pain d’orge et du sel. Il commençait à peine à manger que le cri d’un mendiant se fit entendre dans la rue. Habîb retira aussitôt la nourriture de devant son visiteur et alla l’apporter au mendiant. Hasan le réprimanda pour son ignorance des règles de convenance, qui disent qu’on ne donne à un mendiant qu’une portion de ce qu’on a offert à un visiteur. Habîb ne dit rien. Après quelque temps, un serviteur se présenta à la porte avec du miel pur et un agneau rôti sur la tête. Un autre garçon posa cinq cent dirhams devant Habîb qui le distribua aux pauvres pendant qu’il mangeait.
« Tu es une personne de bien, Ô maître, » dit gentiment Habîb, « mais si tu avais eu un brin de certitude, tu aurais eu la connaissance pour réaliser ce qui se passait, car la connaissance vient avec la conviction. »
Selon un récit du même genre, Habîb avait une maison à un carrefour de Basra. Souvent, lorsqu’il sortait faire ses ablutions avant la prière, il étalait son manteau en peau de mouton sur le bord de la route. Hasan vint à passer par là et, voyant la pelisse sur le bord de la route s’arrêta pour la garder jusqu’à ce que le propriétaire revienne, de peur que quelqu’un ne la prenne. Habîb de retour, demanda à Hasan ce qu’il faisait là. « Ne sais-tu pas Habîb, qu’il ne faut pas laisser un manteau dans la rue ? » répondit Hasan. « Ah ! » répliqua Habîb, « Je l’ai confié à Celui-là même qui t’a envoyé ici pour le garder. »
Beaucoup de récits ont été rapportés qui rendent compte de la station spirituelle élevée de Habîb. On rapporte par exemple qu’une fois, on conduisit un meurtrier à la potence pour le pendre. La nuit, quelqu’un le vit en songe, en train de se mouvoir dans les hautes sphères du paradis, richement vêtu. « Comment as-tu atteint un si haut degré ?, demanda le songeur, toi, un meurtrier ? » « Au moment même où on me pendait, répondit-il, Habîb Ajami passait par là et me regardant du coin de l’œil, fit pour moi une prière ; voici comment j’ai obtenu ce degré de félicité. »
Chaque fois qu’on lisait le Coran devant lui, Habîb se mettait à pleurer. Lorsqu’on lui demandait comment il pouvait être si touché par une langue qu’il ne comprenait pas, il répondait : « Ma langue est certes Persane, mais mon cœur comprend l’arabe. »
Beaucoup de ces récits ont une connotation affectueuse, car il était aimé comme son nom l’indique. Ainsi, un soufi rapporte avoir eu une vision dans laquelle Habîb occupait une station sublime. Il avait entendu cette parole : « Certes il est ‘ajami, mais il reste Habîb (‘bien-aimé de Dieu’). »
Deux des quatre principaux fondateurs de l’école de jurisprudence sunnite, Ahmad b. Hanbal (d. 855 CE) et l’imam Shâfi’î (d. 820) étaient assis au bord de la route, quand ils virent arriver Habîb. Le juriste de la loi canonique Ibn Hanbal voulut lui poser une question, mais son compagnon le lui déconseilla disant : « Il appartient à un groupe étrange. » Cependant, lorsque le maître approcha, Ibn Hanbal ne put se retenir de lui demander : « Quel jugement ferais-tu à propos de quelqu’un qui aurait manqué une des cinq prières et qui ne se souviendrait pas laquelle ? »
« Une telle personne, » répondit le maître, « aurait un cœur oublieux de Dieu et donc devrait être corrigé de sorte qu’elle fasse les cinq prières. »
Ibn Hanbal resta totalement déconcerté par cette réponse. Son compagnon lui dit : « Ne t’avais-je pas averti ? »
Les nombreuses histoires miraculeuses rapportées à propos de Habîb dans les récits hagiographiques, doivent être vues comme une tentative de décrire sa haute station spirituelle et son immense amour-bonté pour ses congénères. Un de ces récits parle d’une terrible sécheresse qui s’était abattue sur Basra. Pour atténuer la situation difficile, Habîb acheta à crédit une énorme quantité de vivres qu’il distribua aux pauvres. Il plaça aussi un sac sous son oreiller, et chaque fois qu’un nécessiteux se présentait à lui, il le sortait ; le sac était alors rempli de dirhams qu’il lui donnait.
La femme de Habîb ‘Amra a rapporté que chaque matin il lui répétait qu’à sa mort, elle devrait informer telle et telle personnes de sorte qu’elles viennent laver son corps. Alors il lui donnait des instructions précises sur ce qu’elle devrait faire à cette occasion, concluant avec ces mots : « Seul Dieu connaît le secret de la mort et de la vie. »
Beaucoup de récits ont été rapportés à propos de la relation du maître avec l’amour, qui exaspèrent sa femme ‘Amra. Une fois, après avoir pétri de la pâte et allumé le four pour cuir le pain, elle sortit un moment. Un mendiant se présenta et Habîb lui donna la pâte. Lorsque ‘Amra demanda à son retour ce qui était arrivé à la pâte, il lui raconta que quelqu’un avait emporté la pâte pour la faire cuire. Etonnée, elle continua à le questionner et lui s’en tint à ce qu’il avait dit. Finalement, elle leva les mains et s’écria : « Comment allons nous faire pour trouver du pain maintenant ? »
Soudain un homme arriva avec une cuvette contenant non seulement du pain, mais aussi de la viande qu’il posa devant le couple. « Quel habile et généreux boulanger avons-nous là ! Cuire le pain aussi rapidement et y ajouter de la viande en bonne proportion !» s’exclama ‘Amra.
Habîb a laissé quelques paroles significatives pour les pèlerins de la voie. Sa définition de la chevalerie, la seule conduite qui était présente dans la culture iranienne avant l’Islam, est un bon exemple.
Selon Habîb, les chevaliers sont caractérisés par trois signes : Fidélité éternelle, Bonté non recherchée, Générosité non sollicitée.
Pour le premier signe, une telle personne ne tolère aucune défaillance dans l’engagement, dans la dévotion ; pour le second signe, elle réalise des actes de bonté envers les autres bien que ne recevant rien en retour; et pour le troisième, elle donne à ceux qui sont dans le besoin sans attendre une quelconque reconnaissance de leur part, quand ceux-ci deviendront prospères. Toutes ces indications concernent l’existence extérieure par rapport aux autres. Cependant, quand ces qualités apparaissent chez les gens, elles ne leur appartiennent pas, car ce sont des attributs de Dieu qui leur sont prêtés.
Par exemple, plus ils observent une fidélité infinie envers les autres, Dieu accroît Sa Grâce envers eux. Le signe de la fidélité de Dieu est qu’elle est indépendante des actes du dévot, de telle sorte que même s’il manque à ses engagements, ceux de Dieu envers lui ne cesseront pas. Dans le cas de la bonté non recherchée, Dieu n’a pas besoin des bonnes actions du dévot même si celui-ci Lui demande la moindre faveur disant : « Il est la louange au commencement et à la fin. » Dans le cas de la générosité non sollicitée, seul Dieu peut véritablement la dispenser au travers de Son attribut de Munificence.
En fait, tous ces trois cas sont des actes spontanés, non motivés par des contingences matérielles. Quand Dieu accorde de telles faveurs à un dévot, l’élevant et le rapprochant, celui-ci devient un chevalier (jawânmard), inscrit parmi ceux qui sont dignes de porter ce nom.
Quand on interrogea Habîb sur ce qui fait la satisfaction de Dieu, il répondit : « Un cœur sans hypocrisie, car cette dernière est créatrice de désunion avec Dieu ; alors que la satisfaction de Dieu réside dans l’harmonie et l’amour-bonté, n’ayant rien à voir avec la duplicité, sa véritable place est celle du contentement. Ainsi le contentement est l’attribut des amis de Dieu et l’hypocrisie celui de ses ennemis.
Une fois, il était absorbé dans sa retraite et répétait : « Quiconque n’est pas satisfait de Toi, n’est satisfait de rien. Quiconque n’est pas satisfait par Ta vision, ne peut être content de rien. Quiconque n’est pas intime avec Toi, ne peut être intime de rien. Par Ta toute puissance, Tu sais que je T’aime. »
« Si je me trouvais dans un désert sans abri, » dit un jour le maître, « mais dans la présence de mon seigneur, je préférerais ce désert à votre paradis. »
Lorsqu’on demanda au maître pourquoi il s’était retiré du commerce, il répondit : « Parce que j’ai placé ma confiance dans le Pourvoyeur. »
La religion mazdéenne qui précéda l’Islam dans la communauté Iranienne, n’a jamais cherché à résoudre la question du diable, laissant ce dilemme à la chrétienté. Cependant, chaque fois qu’un maître soufi tel que Habîb parle du démon, il se réfère à la vision subjective que chaque personne a du monde, une conséquence de l’influence du nafs ou ego, car tout ce qui est Dieu est bon dans le sens absolu.
« Le diable manipule les lecteurs du Coran, » disait-il, « de la même manière que les enfants jouent avec les billes. »
De même, utilise-t-il l’image du Jour de la Résurrection pour représenter la confrontation directe de l’individu avec sa propre conscience.
« Si au Jour de la Résurrection, » disait-il, « Dieu me demandait de Lui présenter une seule prière, un seul jour de jeûne, une seule prosternation ou un seul égrenage de chapelet sans influence de Satan, je rougirais de honte. »
Lorsqu’on demanda au maître si la pratique spirituelle avait plus de mérite que la recherche de la connaissance ou celle du pain quotidien, il expliqua : « La recherche de la connaissance et celle du pain quotidien font tous deux partie de la pratique spirituelle. Apprendre constamment, améliore la pratique spirituelle, tandis que gagner sa vie tient occupé, protégeant le nafs contre la distraction des tentations diaboliques. »
Les dates avancées pour la mort de Habîb varient de 119/737 à presque un demi siècle plus tard, mais la première date semble être la plus fiable. A l’approche de sa mort, il fut saisi d’une crise d’anxiété, s’écriant en persan : « Je sens venir un voyage que je dois bientôt entreprendre, m’embarquant sur une route que je dois bientôt parcourir. Je sens que je suis sur le point de rencontrer mon Seigneur. Je sens que je vivrai bientôt des états que je vais savourer. Je sens que bientôt je serai mis en terre et y resterai jusqu’au Jour de la Résurrection, où je serai présenté à mon Seigneur. J’ai bien peur que Dieu me demande alors si, une seule fois pendant soixante ans, j’ai égrené le chapelet sans interférence du Diable, et que je ne puis Lui répondre. Je n’aurai pas d’autre choix que de confesser mon total dénuement. «
Traduit de l’anglais du magazine SUFI n°53