Une femme mariée se vantait auprès de son amant qu’elle serait capable de badiner avec lui sous les propres yeux de son mari, le cocufiant ouvertement, sans que cette indiscrétion ne porte préjudice ni a l’un ni a l’autre.
Le jour suivant, alors qu’elle se promenait dans un champ avec son mari, elle se tourna vers lui et dit: “Mon cher mari, regarde donc ces fruits délicieux hauts perchés dans cet arbre. Laisse-moi donc grimper, et en cueillir quelques-uns pour le déjeuner.”
Dès qu’elle eut grimpé dans l’arbre, la femme regarda en bas vers son mari et éclata soudainement en sanglots.
“Comment peux-tu ?!” Cria-t-elle à son mari stupéfait. “A peine suis-je hors de ta vue que tu ramène une fille débauchée pour satisfaire tes désirs de luxure ? As-tu perdu tout respect pour tes vœux de mariage ?”
“As-tu perdu la raison ?” répondit son mari. “Il n’y a ici personne d’autre que moi: je le jure sur tout ce que j’ai de sacré. Descends de cet arbre et constate le par toi-même, car cet arbre t’a fait perdre l’esprit”.
Une fois descendue, elle alla vers son mari et lui demanda qu’il aille constater par lui-même qu’elle n’est pas folle. Dès qu’il eut grimpé dans l’arbre, elle demanda à son amant de sortir de sa cachette. L’amenant dans ses bras, elle l’entraîna sur l’herbe où ils commencèrent à faire l’amour passionnément.
“Que fais-tu ?” cria son mari du haut de l’arbre. “Tu fait l’amour avec un autre homme devant mes propres yeux ?! Comment peux-tu me faire cela?”
“Ne sois pas absurde mon cher. Il n’y a personne avec moi. Tu es devenu aussi fou que je l’étais. Arrête donc de débiter des choses insensées”.
Il l’accusa encore une fois de le cocufier, et de nouveau elle nia.
“Tout cela vient de ce poirier,” s’exclama-t-elle tout en se défendant. “Du haut du poirier je voyais les choses aussi faussement que tu les vois maintenant. Ecoute, descends et constate qu’il ne se passe rien ici: tout ceci n’est qu’une illusion créée par le poirier.”
O chercheur, descends de ce poirier dont tu es devenu si frivole et volage. Ce poirier est ton ego animal, ta propre existence, depuis laquelle ta vision devient déformée, et tes yeux se mettent à loucher. Quand tu descendras de cet arbre, tes pensées, tes yeux et tes paroles ne seront plus égarés. Lorsque tu laisseras cet arbre derrière toi, dieu dans sa bonté le transformera.
Grâce a l’humilité que tu montreras en descendant de ce poirier et le laissant derrière toi, dieu t’accordera la vrai vision (Livre IV, lignes 3544-3566).
Extrait du magazine SUFI n° 48 Hiver 2000/01, pp. 53 “Lighten Up: Humor in Rumi’s Mathnawi”.