Jeffrey ROTHSCHILD
Par Jeffrey ROTHSCHILD
Depuis maintenant près d’une dizaine d’année, le Vieux Moulin est le lieu de résidence du maître. Situé dans le conté d’Oxfordshire, le Vieux Moulin s’étale sur 20 acres comprenant des centaines de pommiers, une grande variété de fleurs et de plantes, et divers animaux dont un paon, deux chats et un chien de garde. Son nom provient d’une tour de pierre reliée au bâtiment principale et qui autrefois servait réellement de moulin mais qui maintenant ressemble plutôt à la Tour Martello dans Ulysse de James Joyce.
Dans le bâtiment principal, au rez de chaussée, face à l’entrée principale du Vieux Moulin se trouve le salon ou passe la plupart de son temps Dr Nurbakhsh. On y trouve peu de mobilier, une bonne chose étant donné la taille restreinte de la pièce: un lit, situé au fond à gauche, ou le maître s’allonge ou s’assoit; une grande baie vitrée située derrière; un petit bureau situé devant le lit ou la maître travaille habituellement sur son dernier projet ou ouvrage; à l’opposé, une unique chaise, probablement une concession aux non-derviches qui lui rendent visite puisque les derviches s’assoient presque toujours en tailleur sur le sol; à l’opposé se trouve une cheminée souvent alimentée excepté durant les chauds mois d’été.
Tout au long des murs du salon (qui est presque toujours plein de fleurs, quelle que soit la saison) on y trouve de nombreux objets en rapports avec la spiritualité, dont nombreux sont des cadeaux pour le maître de la part des derviches qui lui rendent fréquemment visite. Sur le mur, derrière sont lit, on peut y voir une photographie de Munes Ali Shah ainsi que diverses calligraphies perses. Sur une de ces calligraphies située directement derrière lui, on peut y lire “Ce n’était pas un plaisanterie lorsque Bayazid a dit: ‘Je suis plus en sécurité avec l’un de mes ennemis plutôt qu’avec l’un de mes disciples'”
L’entrevue avec Dr Nurbakhsh eut lieu un dimanche matin à la fin du mois de décembre 1997. La veille avait eu lieu un mariage qu’il avait présidé, et il était d’une humeur particulièrement bonne ce matin la. A ses cotés, se trouvait son fils aîné Alireza, en tant que traducteur.
Après avoir vérifié que le magnéto-cassette fonctionnait correctement, je jetait un œil au maître que me fit un signe approbateur, et je commençai alors l’entrevue.
Jeffrey Rothschild (JR): Avant d’entrer dans le vif du sujet de cet entretien, le soufisme, j’aimerai éclaircir un point en rapport avec le précédent entretien.
Lors de notre dernier entretien, vous aviez décrit votre fils Alireza en ces termes: “Alireza a obtenu un doctorat de philosophie à l’université du Wisconsin (Madison) et a été éduqué par moi de façon personnelle. A présent, il est le cheikh de la khaneqah de Londres et y représente la confrérie. La plupart de mes travaux, et tout particulièrement le journal Sufi, est sous sa responsabilité.”
Vous aviez ensuite dit clairement d’avoir choisi indiscutablement Alireza comme successeur en tant que maître. Est-ce bien cela ?
Dr Nurbakhsh (Dr N): [répondant en anglais] Oui! C’est ma volonté.
JR: C’est on ne peut plus clair!
J’aimerai maintenant, avec votre accord, passer sur des questions propres au soufisme. [Dr N fait un signe d’approbation]. On vous a probablement posé cette question un très grand nombre de fois, mais je vous la repose pour cet entrevue: après plus de 50 ans d’expérience dans la voie soufie, en tant que chercheur, disciple, cheikh, puis maître, comment définiriez-vous ce qu’est la voie soufie ou bien ce que signifie être un soufi ?
Dr N.: Etre soufi signifie être amoureux de la vérité (Haqq). Aimer la vérité (en d’autres termes aimer Dieu), équivaut pour une personne donnée à aimer tous les êtres humains et les servir sans distinction de race, de religion ou de nationalité. Etre soufi signifie (au minimum) ne pas déranger ou ennuyer quelqu’un et tolérer (sans se sentir offensé) les dérangements et les tracasseries des autres
JR: Quelle est la chose la plus importante qu’un disciple doit savoir ou faire en suivant la voie soufie ?
Dr. N.: Le disciple doit se dire la vérité et faire de même avec le maître. En d’autres termes il doit être sincère. Il doit toujours être sincère.
JR: Quel est l’apport du soufisme à la culture et à la société contemporaine ?
Dr. N: La culture contemporaine est beaucoup portée sur le matérialisme, sur l’amour de l’argent et des choses matérielles à tel point que l’humanité a totalement oublié la Vérité. Le soufisme peut aider les gens à se souvenir de l’importance qu’ont l’amour et le souci des autres. De cette façon, le soufisme peut contribuer à créer l’amour et la paix enter les différentes nations du monde.
JR: Shah Nématollah a dit “Tous ceux que les autres saints on rejeté, je les accepterai et selon leurs capacité je les rendrai parfaits”. Vous aussi, vous avez dit que vous accepterez tous ceux que les autres maîtres ont refusés. Pourquoi cela ?
Dr. N: Parce que si une personne est un voleur, après son initiation il volera moins. Si il poignarde les gens, au lieu d’enfoncer son couteau de trois cm, il ne l’enfoncera plus que d’un cm, et ainsi de suite. Et cela est déjà quelque chose (de positif)!
JR: En quoi est ce que le soufisme ressemble ou est différent des autres voies mystiques ?
Dr. N: Plusieurs voies déclarent “Nous sommes la vérité”. Quant à nous, nous disons que chaque être est une expression de la vérité. Il se peut que leur déclaration soit sincère: si c’est le cas alors chacun de nous exprime la vérité…car la vérité est Une.
JR: Comme de nombreux autres maîtres soufis l’ont fait, vous dites très souvent (aux derviches): “Soyez heureux, réjouissez-vous!” Pourquoi une telle affirmation ?
Dr. N: A l’entrée de la Khanaqah de Roumi, il est écrit: “Si tu n’as pas de bien-aimé, cherche en un, mais si tu as un Bien-aimé, alors réjouis-toi”. Lorsqu’une personne aime sincèrement la vérité, et la trouve après l’avoir cherché, il n’y a pas de raison pour que cette personne ne soit pas heureuse. Ils (les derviches) doivent êtres heureux.
JR: La religion est elle essentielle pour la spiritualité ?
Dr. N: [répondant seulement après un long silence et précisant qu’il ne parle que du soufisme]. La religion est la première étape du soufisme. Lorsque le voyageur atteint les niveaux les plus élevés de la voie, il arrive alors à savoir si la religion est nécessaire ou non.
JR: [s’adressant à Alireza Nurbakhsh]. Dites au maître que si je l’interroge sur un sujet dont il ne souhaite pas débattre qu’il veuille bien me le faire savoir.
[Après avoir entendu la traduction de mon propos, le maître dit quelque chose à Alireza qui éclate de rire avant de me dire les paroles suivantes: “Le maître te demande de ne pas t’inquiéter à ce sujet, car il est de loin plus rusé (nawgalaw) que toi” – ce sur quoi nous nous mimes tous à rire]
JR: Dans votre livre intitulé “Soufisme: signification, connaissance et unité” (pp.1), vous citez un passage du kitab al-loma de Sarraj qui dit ceci “Dans un livre consacré à l’histoire de la mecque, Mohammad Ibn Ishaq rapporte qu’avant l’avènement de l’Islam, alors que personne ne faisait encore la circonvolution (tour rituel) autour de la Kaaba, un homme qui était soufi arriva un jour de très loin. Il entra dans l’enceinte sacrée, accomplit la circonvolution et continua sa route”. Le soufisme serait-il pré-islamique comme le laisse croire ce récit ?
Dr: Oui! Et à ce sujet il n’y a pas de doute car la première fois ou un être humain se mit à contempler ou à penser à la vérité (Dieu) il montrait ainsi sa quête de la voie soufie.
JR: Entre huit cent et mille ans AD, il y eut un nombre impressionnant de soufis avancés sur la voie comme Bayazid, Hallaj, Shibli, Abu Said Abu Khayr. Comment expliquez-vous cela ? Et pourquoi cela n’est-il pas arrivé avant ou après cette période?
Dr. N.: Bien, il faut dire qu’il n’y a pas véritablement d’éléments historiques concernant le soufisme durant ladite période. Dans les histoires relatives à la période pré-islamique, il y a des références au soufisme, notamment dans les écrits de Firdusi qui était un poète iranien. Ce dernier, bien qu’ayant vécu à l’ère islamique a écrit des histoires se rapportant à la période d’avant l’islam ou il fait beaucoup mention du soufisme. Mais, il n’y a pas véritablement de documentation concernant le soufisme pré-islamique.
Alireza Nurbakhsh: Et pourquoi les choses n’ont elle pas changé après?
Dr. N: Les califes et les mollah [ici le Dr N interrompt la traduction de Alireza et précise en Anglais “pas les mollahs mais les guides religieux, les autorités religieuses”. Alireza rectifie et poursuit alors] les califes et les guides religieux ont réalisé que la démocratie et la liberté contenus dans le soufisme allaient contre leurs intérêts et étaient dangereux pour eux. Ils firent donc tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher le développement du soufisme.
JR: Lorsque j’étais avec vous en Iran il y a quelques années, je vous avais posé dans mon mauvais iranien, la question de savoir si Bayazid était un “Khayly Bozorg” (très grand) soufi et vous m’aviez répondu que dans le soufisme, la grandeur réside dans le fait d’être petit et non grand. Quels sont donc les soufis qui furent les plus petits de l’histoire?
Dr. N: Un grand nombre de soufis furent totalement inconnu des gens.
JR: Parmi ceux que nous connaissons, quels sont ceux qui étaient les plus proches de Dieu ?
Dr N: Le plus proche de Dieu est celui qui était le plus proche du néant.
JR: [ne voulant pas se résigner à accepter le peu d’enthousiasme du maître à répondre à la question posée]. Et quels sont ceux qui étaient les plus proches du néant?
Dr N: Tu pourras aller le leur demander toi même une fois que tu seras mort [cette boutade du maître nous fit éclater de rire tous les trois]. Je suis sur le point de laisser tomber mon insistance pour passer à une autre question quand le Dr. N m’interrompt. La chose la plus importante, ce qu’on sait, c’est que les propos de Bayazid, d’Abu Hassan Kharaqani et d’Abu Said Abu Khayr tout comme leurs œuvres ont eu un effet déterminant sur le soufisme et exercé une grande influence sur les générations qui les ont suivi.
JR: les soufis pensent que tout ce qui se trouve dans l’univers est une manifestation de la volonté de Dieu et que rien n’arrive sans sa Volonté. Cela est-il exact ?
Dr. N: Posez la question à un philosophe.
JR: Bien, vous avez écrit que “Dieu est absolument Bon”, que “Dieu n’est que Bonté”, comment les soufis expliquent ils alors toute la souffrance et l’horreur qu’il y a dans le monde ainsi que toutes ces choses terribles qui arrivent aux gens.
Dr N: Toutes ces choses proviennent des hommes eux-mêmes et n’ont rien à voir avec Dieu. Les êtres humains créent eux mêmes cette souffrance car de nos jours, toutes les nations du monde ont mis Dieu de coté et choisie d’adorer l’argent à sa place. [Après qu’Alireza ait traduit la réponse du maître, celui-ci me regarda et ajouta en Anglais “Aujourd’hui, dans le monde, ce sont les dollars qui comptent et non Dieu!”]
JR: Mais pourquoi Dieu laisse-t-il faire cela ? J’en arrive souvent à croire que beaucoup de personnes se détournent de Dieu ou doutent de son existence parce qu’en observant le monde ils voient tous ces terribles événements et se demandent comment Dieu peut-il laisser tout ceci se faire ?
Dr N: De telles interrogations montrent que ces gens dont vous parlez n’ont pas une bonne compréhension de Dieu [ici le maître marque une pause puis il continue] Ce qui nous paraît laid peut en fait être beau et vice-versa ce qui nous paraît beau peut en fait être laid. Dans le monde du soufisme, étant donné que chaque chose est une partie de la création de Dieu, il n’y a pas de mal absolu.
JR: Pouvez vous expliquer ou réconcilier les deux opinions apparemment contradictoires du soufisme sur le monde: d’une part le monde comme un endroit désert, illusoire qui éloigne l’homme de Dieu et d’autre part le monde comme reflet ou image de l’Etre divin. A titre d’exemple on peut indiquer que ces deux points de vue se retrouvent dans votre poésie.
Dr N: La voie vers Dieu comporte de nombreuses étapes, des milliers d’étapes différentes et à chacune de ces étapes il arrive au soufi de parler de son état au point ou il peut sembler que…[ici, le Dr N interrompt la traduction de sa réponse par Alireza et dit en Anglais “Aujourd’hui je dis quelque chose, demain je dis quelque chose d’autre” Puis il se met à rire]
JR:Plus sérieusement, que signifie “Mœurs avant de mourir” ?
Dr N: Cela signifie tuer tout égocentrisme en soi pour renaître en Dieu car en vérité il n’y a rien d’autre que Dieu.
JR: Quelqu’un m’a récemment posé une question relative à la mort et je me suis trouvé incapable d’y répondre. Permettez-moi donc de vous interroger à mon tour: si dans ce monde, vous ne suivez pas la voie soufie ou une autre voie spirituelle, peut-on dire que vous avez manqué ainsi une opportunité offerte que vous ne retrouverez plus jamais ou alors existe t-il une autre chance après la mort ?
Dr N: Non, vous avez perdu votre chance pour toujours !
JR: Concernant ce qui arrive après notre mort, quelle est la différence entre celui qui ne suit pas du tout la voie spirituelle, celui qui s’efforce sincèrement dans la voie spirituelle mais qui ne l’achève pas et celui qui a fini de traverser la voie?
Dr N: [répondant avant qu’Alireza n’ait pu traduire un mot de la question] L’oiseau qui arrive à s’échapper de sa cage, même s’il n’atteint pas sa destination finale aura la priorité et l’avantage sur tous les autres oiseaux qui restent enfermés dans leurs cages.
JR: Pouvez vous nous dire en quoi consiste l’avantage dont vous parlez ?
Dr N: Plus vous vous éloignez ou vous vous échappez de la conscience de l’ego, plus vous vous rapprochez de le Vérité (Haqq).
JR: Tout le monde peut-il arriver à la Vérité finale ? Peut-on tous parvenir au même endroit ?
AN: Comment le pourrions-nous si…[puis, s’arrêtant, il dit] très bien, je vais interroger le maître.
[le Dr N observa une longue pause avant de répondre à la question]
Dr N: En réalité, tous ces différents individus n’existent pas. Tout ce qu’il y a…est une seule réalité. Tout ce qui est…constitue une seule réalité.
JR: Est-ce à dire que la conscience individuelle ne disparaît pas même après notre mort ? En d’autres termes y a-t-il une conscience individuelle après la mort ?
Dr N: Lorsque la goutte d’eau atteint l’océan, elle perd sa nature de goutte, mais en même temps elle ne perd pas pour autant sa nature d’eau [le Dr N se met à rire très fort une fois de plus]
JR: Récemment au cours d’une conférence donnée à Londres, vous avez affirmé qu’aucun occidental ne peut vraiment devenir soufi. Le croyez-vous réellement ? Si oui pourquoi?
Dr N: Le premier principe du soufisme, son aspect le plus important, consiste à s’éloigner de l’égoïsme. Pour en revenir aux occidentaux, leur ego, leurs penchants égoïstes sont très forts. C’est ce que mon propos signifiait.
JR: Les autres cultures ne comportent-elles pas autant d’égoïsme ?
Dr N: [en secouant la tête pour dire non] Dans les cultures orientales, il y a moins d’égoïsme.
JR: Il y a quelques centaines d’années, un maître soufi disait: “Autrefois, le soufisme était plus une réalité qu’un nom, à présent c’est un nom sans réalité”. Vous aussi vous avez dit récemment que le soufi n’existe plus, que le soufisme est mort. En est-il ainsi vraiment ?
Dr N: Si l’on considère le nombre de personnes qui sont supposés être soufis, sans compter ceux qui le sont vraiment – par rapport à la population mondiale, ce n’est quasiment rien. Voilà pourquoi je dis que le soufisme est mort.
JR: La situation était elle différente dans le passé ?
Dr N: Oui
JR: Y aura-t-il un changement ? Retournerons-nous un jour à la situation d’autrefois ?
Dr N: Tout est possible.
JR: Vous avez clairement fait savoir en de nombreuses occasions – comme l’ont aussi dit plusieurs autres maîtres soufis – que le nafs (l’égo) est la plus grande, sinon la seule barrière qui nous sépare de Dieu. Et dans votre livre “La psychologie du soufisme”, vous citez un passage d’un célèbre texte soufi qui dit: “l’esprit a besoin du Boraq (la monture sur laquelle Mohammad fit son voyage nocturne vers Dieu) du nafs dans son ascension vers le domaine de l’esprit car il ne peut y aller à pieds…L’esprit a besoin du nafs afin de pouvoir atteindre les limites du nafs, qui à son tour a besoin de la passion et de la colère pour voyager plus haut ou même pour retourner en bas” (pp. 33, 34). Il est donc clair que le nafs joue un rôle important sur la voie menant à Dieu. Par conséquent, ce qui est demandé ce n’est pas de détruire ou de tuer le nafs ?
AN: Non, ce qui est demandé c’est de transformer le nafs!
JR: Peut on dire que le nafs aide d’une certaine façon à sa propre transformation ?
Dr N: C’est à l’aide du nafs et de votre aspiration que vous allez vers la Vérité. Mais une fois que vous atteignez la Vérité, il ne reste plus de nafs. La Vérité est pareille à une lumière dans le lointain.: vous voulez atteindre la lumière mais au moment ou vous y arrivez, vous êtes complètement consumé.
JR : Dans un autre passage de votre livre “La psychologie du soufisme”, vous parlez de l’existence de deux entités différentes au-dessus du nafs: le cœur et l’ame. Pouvez vous nous expliquer la différence ?
Dr N: En réalité, il n’y a pas d'”entités” ou de “places” dans une personne. Le cœur et l’ame ne sont pas les appellations de certaines choses qui se trouvent en l’homme, mais ce sont plutôt des étapes sur la voie soufie.
JR: Peut-on alors dire que en termes de proximité de Dieu, l’ame est une étape plus élevée que le cœur ?
Dr N: [répondant en Anglais] Oui. C’est exact.
JR: Avec votre permission, je voudrais maintenant vous poser quelques questions touchant plus à votre personne.
[le Dr N approuva de la tête]
JR: Lorsque vous étiez professeur à l’Université de Téheran et directeur du Ruzbeh Hospital, vos collaborateurs savaient ils que vous étiez un maître soufi ?
Dr N: Ils le savaient et ils n’ignoraient pas non plus que travailler là-bas était pour moi une façon de servir les autres.
JR: Certains de vos étudiants ont-ils souhaités se faire initier ?
Dr N: [en secouant la tête] J’essayais du mieux que je pouvais de ne pas mélanger les deux mondes.
JR: Durant une bonne partie de votre vie vous avez écrit de la poésie concernant la voie soufie et la plupart de ces poèmes ont été écrits suivant les formes traditionnelles des vers de la poésie iranienne tels que le Ghazal et le Tarjiband. Plus tard, cependant vous avez commencé à écrire des poèmes suivant des formes plus libres, y’a t il une signification à cela ?
Dr N: Lorsqu’un soufi dont (l’occupation primordiale et principale) est le soufisme devient poète, il ne choisit pas le style des poèmes qu’il écrit. On ne force pas l’inspiration, elle vient de Dieu sous diverses formes – aujourd’hui sous une forme – demain sous une autre forme.
JR: De mon point de vue, votre poésie véhicule plus la Vérité du soufisme que vos écrits en prose. En est-il ainsi en réalité ?
Dr N: La poésie est le langage du cœur, tandis que dans la prose, l’intellect intervient trop souvent.
JR: Vous riez beaucoup et très souvent pour montrer les choses sous leur vrai angle, vous racontez beaucoup d’histoires amusantes. Pouvez vous nous en raconter une ?
Dr N: Un jour on me demanda “Qui est le vrai soufi ?” et en guise de réponse je dit “le vrai soufi était ici, mais il est parti”
[Alireza et moi nous mettons à rire]
JR: Pour finir une dernière question: quel conseil pouvez vous donner aux gens à propos de la vie pas seulement pour les derviches sur la voie mais aussi pour tous ceux qui pourraient lire ce livre.
[Alireza traduit la question mais le maître y répond en anglais]
Dr N: Je leur dirais de s’aimer les uns les autres et de s’entraider.
Juste au moment ou je pose cette dernière question au maître, le soleil du matin apparaît entre les nuages et à travers la fenêtre vitrée située derrière le maître, il projette sa lumière sur moi. Puis à l’instant ou l’entrevue prend fin avec la réponse du maître, le soleil disparaît à nouveau derrière les nuages aussi soudainement qu’il était apparu. Une fin très significative pour une entrevue avec le Donateur de Lumière.
Traduit du livre “Donateur de lumière” (Bestower of Light), un portrait de Dr Nurbakhsh, maître de l’ordre soufi Nématollahi.