Amour et Désir

Dr. Nurbakhsh

Par Dr. Javad Nurbakhsh

Un disciple aux prises aux affres de la voie
S’en alla voir son guide qui, avec le cœur, voit:

Au maître il demanda: “Qu’est-ce que l’amour
Et toute l’histoire autour ?”

Que dois-je faire et qui est le vrai voyageur
Sur le Chemin de l’amour?

Tous ces discours à propos de l’amour, tout aussi nombreux
Que mystérieux ne m’éclairent point et ne me satisfont guère.

Personne ne m’a encore révélé les secrets de l’amour:
Quelle rôle joue le désir dans le travail de l’amour?

“O maître, pourras-tu me dire la vérité à propos du cœur et de l’amour;
Explique, O guide, le désir dans son sens le plus profond.”

*******

Alors son maître lui répondit en ces termes,
Dévoilant ainsi le mystère de l’amour:

A la source de la création était l’amour;
Et Dieu entretient sa création avec l’amour.

Le travail de l’amour comporte plusieurs niveaux,
Et ces niveaux ne pourront pas être atteints par tout le monde.

Au commencement il est désir et le désir est lié à l’amour;
Le désir est comme un ruisseau qui prend sa source dans le cœur.

L’amour, c’est l’océan et le désir n’est qu’un des innombrables
Ruisseaux qui se jettent dans l’océan.

Cependant de nombreux ruisseaux
Vont s’assécher dans le désert sans parvenir à l’océan.

Plusieurs amours ne sont qu’amours au sens figuré bien qu’ils soient
Beaux en apparence, ils ne sont ni plus ni moins que de simples jeux.

Et s’il est vrai que le désir peut aller vers l’océan
Il ne possède pas par lui-même le pouvoir de se jeter seul dans l’océan.

Qui dit désir dit luxure, bavardage et flirt:
C’est tout simplement l’œuvre du nafs et de la passion physique.

Le désir est essentiellement de nature instinctive,
S’exprimant de mille manières.

*******

La forme la plus primitive que peut prendre le désir
Est celle d’un âne automate.

Celui qui se retrouve dans un tel état d’âne
Devient un obsédé, esclave de la convoitise.

Parfois aussi, le désir se manifeste
Sous la forme de la convoitise et de la duperie.

Celui qui souffre de cette forme de désir
S’oppose à toute idée de partage.

Comme un coq, il devient satisfait de lui-même
Donnant libre cours et exprimant à haute voix ses sentiments amoureux.

Celui-la n’utilise pas la force, comme l’âne,
N’étant pas aveuglé par la convoitise.

Il est plus subtil:
Sa méthode est la bonne humeur séductive.

Comme un coq, il se bichonne, fait sa toilette, se pavane
Et affiche la beauté de ses plumes.

Lorsque ce désir est transformé en coquetterie et en flirt,
Il emprunte la voie de l’amour figuré.

*******

La plupart des amours ne sont que des amours figurés.
Ils sont tous des formes de persuasion et d’attraction.

Ils peuvent prendre la forme de l’amour du rossignol
Qui fait semblant d’aimer à la folie la rose.

Alors que son amour n’est pas sincère
Son engagement est faux, douteux et froid.

Sans cesse et à longueur de journée on l’entend gazouiller
Des appels plaintifs, répandant partout ses secrets.

Personne ne le prend au sérieux,
Lorsque de sa séparation d’avec la rose, il se plaint.

Tous ses discours d’énergumène, ses paroles incohérentes
Confirment le caractère froid et calculateur de son approche de l’amour.

Pour de vrais amoureux,
Il s’agit là d’une mauvaise façon de faire la cour.

La rose se méfie du délirant rossignol
Sachant que dans son type d’amour, la fidélité ne joue aucun rôle.

Dès que les roses fleurissent, le rossignol leur fait de l’œil
Et son cœur n’est plus que pour elles.

Lorsque le rossignol se lie d’amitié avec une fleur
Il lui fait la cour en secret et en poussant des cris du cœur.
Cependant à l’aube, il change
Et devient l’amant du narcisse.

Lui faisant assidûment la cour
Avec des paroles douces et des regards amoureux.

Juste après, il commence à se lasser aussi de cette fleur
Tournant son attention vers une autre plante fleurie.

Puisque aucun amour véritable ne réside en son sein
Ses sentiments sont faux, trompeurs et ne riment à rien.

Cet amour est figuré et de nature improductive
Car le rossignol ne cherche que parfum et couleurs vives.

L’amour de la rose est, lui aussi, figuré
Car n’ayant aucune profondeur et n’étant pas passionné.

La rose est à la recherche d’un amant allègre et gai
Sachant que le zéphyr errant ignore heureusement tout ce qu’il fait.

La rose utilise sa couleur et son doux parfum
Pour attirer le zéphyr vers elle et en son sein.

Elle présente un air d’innocence et d’amabilité
Alors que sous ses pétales un désir violent reste caché.

Dès que la rose constate que le zéphyr est excité et dans une rafale,
La rose essaie de le capturer, usant de centaines de ruses.

Dans son désir pour le zéphyr, la rose déchire ses pétales,
De la sorte, il retrouve finalement dans le jardin l’union.

*******

Cependant l’histoire de ces bouffons amoureux de façade
Ne constitue pas l’ensemble du récit sur l’amour.

Lorsque le zéphyr met en feu le cœur de la rose,
Le rendant frénétique et affolé.

Il est également rempli de doute et plein d’hypocrisie
Car son soi-disant amour n’est guidé que par le désir.

Sans ce désir, il n’y aurait aucune raison pour l’étalage de son amour
Le zéphyr ne se serait pas transporté vers la rose.

Si l’amant exprime l’angoisse
Son amour n’est que pur spectacle.

Ces cris et cette hypocrisie e sont que pure duperie
Car l’amour vrai n’a que faire du chasseur, de la proie ou du piège.

Aux yeux des vrais amoureux
L’amour à la manière de la rose ou du zéphyr n’a aucune valeur.

*******

Il y a également l’amour du type qu’on trouve chez la phalène
Qui se dit séduite et folle d’amour.

Dès que ce papillon de nuit aperçoit la flamme de la bougie
Il commence à tourner autour sans répit.

Il se lance contre la flamme jusqu’à ce que mort s’en suive
Livrant ainsi son âme sur l’autel de l’amour au nom de son bien-aimé.

Mais un tel amour aussi n’est pas pur
Cette frénésie, à y voir de près, n’est que pure hypocrisie.

Quand la phalène rend l’âme dans la flamme de la bougie
C’est pour elle en fait une façon de se montrer à la lumière du feu.

Car à l’aube elle prend soudain son envol
Pour aller au lieu ou se trouvent les fleurs.

Elle n’est ni sincère ni fidèle
Dans le jardin ou se trouvent les fleurs elle devient folle d’elles.

Pendant le jour, elle rode autour de la rose
Et pendant la nuit, elle brûle d’amour dans le feu de la bougie.

Chez les gens de l’amour cela s’appelle un faux amour
Car le vrai amour ne connaît ni vanité ni hypocrisie.

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Une autre forme d’amour est celle exprimée par la bougie
Qui laisse sa tête se consumer dans le feu de la passion.

Tel qu’un amoureux sincère et un chercheur de Dieu
La bougie pourra brûler fébrilement dans le feu.

Mais puisque c’est de sa tête que provient ce zèle d’amour
La bougie passe son existence entière dans ses pensées.

La passion de la bougie est toute dans sa tête,
Plus en bas, en son cœur se trouve la froideur,
Et la dépression y a son siège.

Sa tête est tout en feu et tout de lumière
Dans son cœur enfoui dans les ténèbres,
Il n’y a pas feu, pas une seule lueur.

Son amour est pareil à celui du théosophe
Qui cherche Dieu à l’aide de la raison.

Il ne connaît pas ce que c’est que le feu du cœur
C’est le feu qui est à la fois guide et vie, et non la ferveur de la tête.

Le voyage se fait à l’aide du feu du cœur
On n’arrivera jamais au but en immolant au feu l’âme de la bougie.

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Une autre forme que prend cet amour de rusé
C’est l’amour fin qu’on trouve entre un homme et une femme.

Dans cet amour, l’amoureux languit pour son bien-aimé
Et pour lui seul il a engagé son cœur.

Toutes ses espérances et ses pensées
Sont tournées vers l’union avec le bien-aimé.
Un tel amoureux ne pense à rien d’autre que son bien-aimé.

Mais cet amour est transitoire
Et on ne pourra s’en satisfaire.

Car une fois que le bien-aimé disparaît,
Mort et enterré,
Il n’y a plus de raison pour soupirer ou gémir.

Cet amour a beau être grand,
Il ne convient nullement à un rend au cœur déchiré.

*******

Bien qu’il puisse exister plusieurs formes d’amour figuré,
Ils ne sont que tous l’expression
Du désir et ne constituent pas un vrai amour.

Il n’est pas impossible qu’ils puissent servir d’échelle
Qui amène au sommet ou réside le vrai amour.

Le brûlage et la longanimité que contient l’amour figuré
Peuvent servir à purifier le cœur et le préparer au vrai amour.

Lorsque l’amoureux s’échappe du piège du monde,
Il n’y a plus personne comme lui dans le royaume du cœur.

Pour triompher d’un seul bond le fardeau de l’épreuve,
L’on doit arriver à la station de ceux qui ont le cœur engagé.

Divinement, l’amoureux se fond dans Dieu;
Et comme dans un état d’ébriété, laisse derrière lui le monde.

L’amoureux sincère, totalement consumé,
Arrive dans le royaume des gens ivres au cœur en feu.

Tout ceci est légitime au nom du décret de l’amour
Si seulement le cœur est ivre et en amour.

Le vrai amour qui est au-delà de l’amour figuré
Est foncièrement libre de toute duperie, du besoin et du désir.

En amour vrai, de l’existence il n’y a point de pensée
Car tout est ferveur et griserie.

Si tu es guidé dans le monde du cœur,
Ton âme apprendra à connaître l’amour soufi.

C’est un amour au sommet de tous les amours,
Etant fondé sur le vrai discernement et la foi.

Le soufi ne trille pas comme le rossignol.
Sa douleur, il la cache dans son cœur et ne l’exprime pas.

Le soufi ne passe pas son temps à sautiller de branche en branche,
Il passe plutôt sa vie en restant prosterné devant l’Objet Un.

Le soufi n’est ni attaché à la couleur ni à l’odeur du parfum comme la rose
Car la couleur de ses habits est incolore.

Le soufi n’est pas hypocrite comme la phalène
Car il n’est intéressé à rien d’autre en dehors de Dieu.

La ferveur du soufi ne se trouve pas dans sa tête
Comme c’est le cas de la bougie,
Sa passion est dans son cœur, mettant ainsi le feu à son âme.

Le cœur de l’amoureux soufi est livré à Dieu seul,
Lui qui est la cause d’étonnement chez beaucoup.

Bien que le soufi n’ait aucune connaissance de l’Essence de Dieu,
Son cœur est ivre du vin de Ses Attributs.

Le soufi est heureux avec la grâce de Dieu tout comme avec Sa colère;
Il est content même au milieu du feu.

Le soufi n’aspire ni à l’un ni à l’autre monde,
Il ne se laisse distraire ni par le discours ni la discussion.

Puisque le Bien-Aimé du soufi est éternel et immortel,
L’amour soufi s’accroît jour et nuit, ne diminuant jamais.

Tel est le vrai soufi, attaché à Dieu,
Détaché de lui-même, et des deux mondes.

Il connaît son Seigneur
Qui le guide à Lui-même.


Extrait du magazine “Culture et Débats Iqraa Afrique” n° 4, vol. 2, Décembre 1991-Janvier-Février 1992


Traduit de l’original persan en anglais par Terry Graham et de l’anglais en français par Yacouba Fassassi.

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