Une nuit, parcourant les rues, un fakir vagabond se retrouva face à un jeune homme se tenant devant le corps ensanglanté d’une femme morte.
“Nom de Dieu, qu’avez-vous fait ?” laissa-t-il échapper, sans même réfléchir. “Quel est ce malheur ?”
“Ceci n’est pas un malheur. C’est le corps de ma mère que je viens de tuer”.
“Tuer ? Comment avez-vous pu tuer votre propre mère ? N’avez vous point conscience du respect et de l’honneur que l’on doit à sa mère, sans parler de l’abomination d’une telle action ? Qu’a-t-elle bien pu faire pour mériter un tel traitement ?”
“Elle a fait une action tellement mauvaise, que cela a sali son propre nom…ainsi que le mien. Je suis rentré à la maison il y peu de temps, pour la trouver enlacée nue dans les bras d’un homme auquel elle n’était pas mariée. Ainsi, je l’ai tuée afin que sa tombe cache sa honte”.
“Et bien, dans ce cas,” dit l’étranger avec un haussement d’épaule, “j’aurai plutôt tué son partenaire dans ce péché”.
“Mais alors,” répondit l’autre, “j’aurai dut tuer quelqu’un de nouveau chaque jour
En tuant ma mère, j’ai évité de faire couler le sang d’une multitude d’autres personnes. N’est-ce pas mieux de ne couper qu’une seule gorge, plutôt qu’un si grand nombre ?”
O lecteur, cette mère de mauvaise nature, dont les vices peuvent être trouvés dans les moindres recoins, c’est ton propre ego. Viens donc et tue-le, car à cause de cette vile créature, à chaque moment tu t’attaque à quelqu’un de réellement vénérable.
A cause de cet ego, ce monde juste est devenu étroit et rempli de chagrin pour toi; à cause de cette folie, à chaque moment tu es en guerre avec Dieu et l’homme. Cependant, en tuant cet ego, tu te délivreras de tout ça et tu ne devras plus t’excuser constamment: car plus personne sur cette terre ne sera ton ennemi!”
(Mesnevi, Livre II, lignes 776-785).