Rābe‛a – L’amante de Dieu

Sur la Voie soufie, les hommes et les femmes sont considérés comme égaux dans leur capacité à exercer un effort spirituel. Ceux qui se noient dans l’Océan de  l’Amour perdent tous les attributs de leur identité individuelle et transcendent la distinction entre ‛il’ et ‛elle’. Puisque tous les aspirants sur la Voie sont essentiellement un dans l’esprit, les différences extérieures comme le sexe, la race et la position sociale sont hors de propos. Dans les mots du grand maître soufi Nur Ali Shāh à sa femme Bibi Ḥayāti :
Dans le royaume de l’amour, la sincérité et le Soufisme, toi aussi tu es un homme.
La véritable masculinité est le courage.
L’homme vrai est celui qui ne capitule jamais, qui tient ferme une fois qu’il a posé son pied dans la quête de la perfection.

Des exemples de femmes qui ont été sources d’inspiration pour d’autres à travers leur courage et leur détermination existent à travers l’histoire du Soufisme. La plus grande de toutes est Rābe‛a, dont l’excellence spirituelle l’a fait connaître sous le nom de ‛Couronne des Hommes’. D’elle, ‛Aṭṭār a écrit :

Non, elle n’était pas une femme célibataire
Mais au-dessus d’une centaine d’hommes :
Enveloppée dans la quintessence de la brûlure
Immergée dans la Vérité des pieds à la tête,
Et libérée de tous les excès superflus.

Cette femme extraordinaire éprouva au début de sa vie de nombreux malheurs. Née dans l’extrême pauvreté, elle était la quatrième fille d’une famille pauvre mais pieuse. Alors qu’elle était encore jeune enfant, ses deux parents moururent, et plus tard, pendant une famine à Baṣra, ce qu’il restait de sa famille fut dispersé.
Rābe‛a tomba entre les mains d’un commerçant sans scrupule, qui la vendit comme esclave à un aristocrate de la ville. Bien que fuie par la fortune du monde, orpheline parmi des étrangers, Rābe‛a était soutenue et nourrie par un Ami intérieur, et en Lui, elle trouva refuge.
Une nuit, alors qu’elle était en prière, son maître observa avec étonnement une lampe rayonnant dans les airs au-dessus de sa tête. La lumière de cette lampe illumina la maison entière. L’aristocrate, réalisant la grâce spéciale de son esclave, décida de l’affranchir. Rābe‛a quitta sa maison et s’en alla vivre dans des ruines abandonnées en dehors de la ville, où elle s’établit dans la pauvreté et la réclusion.
Rābe‛a fit un pèlerinage à La Mecque, et après l’avoir achevé, retourna vivre dans son habitat de fortune. Là, elle resta, se dévouant à la pratique spirituelle et illuminant ceux qui venaient à elle pour être guidés.
Rābe‛a vivait dans une extrême pauvreté, refusant tous les cadeaux de ces mots, « Je n’ai pas besoin de ce monde. » Elle passait ses nuits dans la prière et ses jours dans le jeûne, mais dans cette vie austère elle brûlait dans le feu de son désir ardent pour Dieu.

Quand elle fut questionnée sur la réalité substantielle de sa foi, Rābe‛a répondit :

Ni la peur du feu de l’enfer ni l’espoir de la récompense du paradis n’attisent mon amour et ma vénération pour Dieu…
Mon désir et mon amour sont l’unique base de ma dévotion envers Lui.

Les prières de Rābe‛a et son jeûne étaient le symbole extérieur de son détachement intérieur, son refus de tout excepté Son visage. Rejetant les deux mondes, elle fut nourrie par Sa lumière et la douceur de Sa compagnie. Son abnégation fut une affirmation de son amour, un signe de son attention intérieur à l’Unique, Qui fut sa fontaine de miséricorde et de bénédiction. Malgré l’épreuve de sa vie passée et les privations matérielles de ses dernières années, Rābe‛a ne se plaignit jamais ni ne demanda d’assistance à quelqu’un, car elle se considérait elle-même comme réellement chanceuse. Alors que les aspects extérieurs de sa vie peuvent nous paraître durs et arides, la réalité intérieure était la grâce au-delà de toute mesure. A l’aube, elle chantait :

Combien de grâce, combien de cadeaux,
De faveurs et de bonté m’as-tu manifesté !
Ton amour que je cherche ; en lui je suis bénie ;
Ô œil rayonnant de mon cœur ardent !
Tu es le commandant de mon cœur !
Aussi longtemps que je vivrai, je ne serai jamais libérée de Toi.
Sois satisfait avec moi, Ô désir de mon cœur,
Et je serai heureuse, bénie.

Tandis que l’ascétisme de Rābe‛a exprimait son amour de Dieu, son isolement des autres dénotait aussi sa loyauté envers Lui. En compagnie des autres, elle craignait de L’oublier même pour un instant. Comme elle expliquait :

J’ai si complètement rompu mes liens avec les gens que lorsque le jour se lève, craignant que les gens me distraient et ne perturbent mon cœur, je prie, ‛Seigneur engage-moi uniquement avec Toi-même, afin que personne ne me détourne de toi.’

Rābe‛a était terrifiée à l’idée de perdre l’amour de Dieu à cause de son manque de détermination. « Ma plus grande peur, » confessa-t-elle, « est la séparation, car je me suis tant habituée à Lui. » Son attention totale envers Dieu était sans compromis et elle ne laissait rien la distraire de l’objet de sa quête. Elle n’a pas rejeté simplement la vie normale ou n’a pas cherché simplement à fuir le monde et ses turpitudes, elle a vaillamment choisi de se dédier absolument et complètement à Dieu.
Rābe‛a fut un rare exemple de quelqu’un qui appartenait totalement à Dieu ; elle ne pouvait partager sa vie avec quelqu’un d’autre. « Je n’appartiens pas à moi-même, » disait-elle en réponse à une demande en mariage, « Je suis Sa possession. » Son cœur n’avait pas de place pour la haine, pas même pour Satan, car l’amour de Dieu seul résidait en elle.
Ainsi, Rābe‛a vécut toujours seule, sans enfant et détachée des autres. Une telle vie, cependant, ne l’a pas protégée des joies et des tracas de l’expérience humaine. Son amour pour Dieu était si intense qu’il surpassa en tendresse et en passion l’amour dans une relation humaine. Sa relation avec Dieu était réelle et tangible pour elle, aussi réelle que la lumière qui illuminait sa pièce toutes les nuits, une lumière qui brillait sans lampe. Rābe‛a parlait doucement à Dieu tous les soirs, disant :

Mon Seigneur, tout est devenu calme ;
et chaque mouvement à l’extérieur est tranquille.
Chaque amant se cache avec sa dulcinée.
Maintenant je me suis enfin retirée avec Toi.

La ferveur et l’urgence de l’amour de Rābe‛a pour Dieu fut une étincelle qui mit le feu à l’ascétisme aride du Soufisme antérieur et enflamma les cœurs de ceux qui la suivaient. Rābe‛a se donna si totalement au feu de Son amour qu’elle devint une torche pour les autres, les exhortant à travers son exemple à « Allumer le monde, quand bien même comme de la cire tu brûles toi-même. » Son impact sur le soufisme est très bien résumé dans l’histoire suivante :
Une fois, un groupe de gnostiques la virent courir avec un seau d’eau dans une main et une torche enflammée dans l’autre. « Ô dame de l’autre monde, où allez-vous ? Que faîtes-vous ? », demandèrent-ils. Rābe‛a répondit, « Je vais mettre le feu au Paradis et éteindre les flammes de l’Enfer. De cette façon, le voyageur vers Dieu pourra se débarrasser de ces deux voiles et voir clairement le véritable but. »
Il y a de nombreuses histoires écrites au sujet de Rābe‛a, illustrant sa piété et sa grâce spéciale. Ces seules anecdotes ne nous donnent pas une image complète d’elle, car elles révèlent rarement son état intérieur. Il est simpliste de la percevoir comme une personne éloignée, vivant dans le (un) passé lointain, dans un temps où l’ascétisme et la piété étaient la règle pour les aspirants à la voie soufie. Cependant, si nous regardons les poèmes et les prières qui lui sont attribuées, nous percevons l’intemporalité de la Rābe‛a intérieure, de l’amante, qui, voilée aux yeux des étrangers, brûlait dans les flammes du désir de son cœur. Au lever du soleil, on pourrait encore l’entendre chanter :

Ô ma joie, mon désir,
Ô mon sanctuaire, mon compagnon,
Ô provision de mon chemin,
Ô mon but ultime !
Tu es mon esprit ;
Tu es mon espérance ;
Tu es mon ami,
Sans Toi, Ô ma vie, mon amour,
Je n’aurais jamais parcouru ces terres sans fin.

Dans la poésie de Rābe‛a, nous pouvons encore ressentir l’intensité de son désir ardent, une passion qui consume les voiles du temps. Elle était extatique dans son désir passionné pour son Bien-aimé. Elle ne pouvait penser à d’autres que Lui. Il était sa nourriture, son rafraichissement et son repos. Rābe‛a est un modèle pour quiconque, dans toutes les époques, car elle s’est soumise totalement à l’amour.
Aussi, souvenons-nous de la recommandation de Rābe‛a aux personnes de son temps qui s’applique encore à nous aujourd’hui :

Ô enfant d’Adam ! Tes yeux ne créent pas de passage pour percevoir la Vérité, de même que la parole ne donne pas accès à Lui.
Le vrai travail est dans le cœur.
Essaie de réveiller ton cœur, car quand le cœur se réveille, il a besoin d’un ami.

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